Hervé Bonhert (né en 1967)
Sur Internet, je n'ai trouvé que ce crucifix/squelette. Ce que j'ai remarqué, ce sont deux photographies anciennes. Deux portrait de taille, en noir et blanc, datant des années 1900 ou des années Vingt, c'est difficile à déterminer. Sur chacune des photographies, les visages sont recouverts de peinture (surtout blanche et noir, mais avec des couleurs) et cette peinture a laissé des coulures sur le reste du corps. Impression de malaise - masques déformants, masques mortuaires. Quelque chose de morbide, une sorte de vision d'outr-tombe ou de cauchemar qui pourrait être réutilisée dans un film d'horreur.
Je cite l'article mis en lien : "Sculpteur anatomiste et dessinateur, il intervient sur ses matériaux pour y faire apparaître squelettes et fantômes, leur donnant ainsi l’aspect de memento mori."
Patrick Bastardoz (né dans les années 1970)
Un peintre alsacien dont je suis le travail depuis quelques années. Il se laisse aller à une routine qui doit bien se vendre à Strasbourg - notamment des vues des différents chantiers qui ont lieu à Strasbourg depuis ces dernières années (Presqu'îe Malraux, etc.). Sans rien d'inquiétant, presque "joli". Mais il vient de commencer une série intitulée "Babel" : dans la continuation de ses chantiers, mais ce sont cette fois des tours gigantesques, impossibles, monstrueuses. Une version contemporaine des grands tableaux de "Tour de Babel" qui a le mérite de s'intégrer complètement dans son travail. Enfin un peu d'imaginaire, un peu d'ambition, un peu de recherche picturale et iconographique, un peu plus d'inquiétude. Si seulement il pouvait continuer comme ça, dans l'exploration d'une voie pas seulement par la variation, mais par l'approfondissement, l'élévation, la complexité du propos. (L'orgueil propre au mythe de Babel s'impose ici plus par l'effet et le travail de peinture que par la tailled des bâtiments, modeste par rapport à ce qui se fait de nos jours).
Rajak Ohanian (né en 1933)
Séries photographiques en noir et blanc : "Métamorphoses" et "Portrait de l'Esprit de la forêt". Toutes deux sur des formes naturelles au résultat soit très graphique (strates de roches, veines de bois, etc.) soit anthropomorphique (troncs d'arbres s'enlaçant, etc.). Le principe est connu, manquant peut-être d'originalité, mais toujours efficace, surtout quand c'est fait avec une grande précision et sans pathos rajouté. Le panthéisme latent de cette observation minutieuse de la nature (microcosme/macrocosme) est tempéré par le regard presque scientifique qui découle du type de noir et blanc, des cadrages serrés sur le sujet, du découpage des images en polyptiques. Avec, en exergue, cette citation de Roger Caillois extraite de "L'écume des pierres" (tout un programme pour ce photographe!) : "Certes, le hasard seul est cause du prodige. Ces ressemblances sont approchées, douteuses, parfois lointaines ou franchement arbitraires mais perçues, elles deviennent vite tyranniques et donnent plus qu'elles n'avaient prévues."
Frédéric Delangle (né en 1965)
Série de photographies "Ahmedabad "no life last night" (datant de 1905/1906) sur la ville qui fut intitulée la "Manchester e l'Inde" en raison de son passé industriel textile. Cela aurait pu être du photo-reportage de qualité, mais en photographiant les rues de la ville de nuit, avec un temps de pose assez long (5 à 10 minutes), il obtient des effets saisissant, une sorte de temps suspendu entre le passé autrefois glorieux et le présent plus précaise, entre architecture anglaise et modernité/pauvreté des nouveaux bâtiments. "C’est dans sa plus grande intimité qu’Ahmedabad se livrait, dans un silence et un calme à la limite du recueillement. Instant privilégié de sérénité où le monde moderne accorde quelques heures de répit avant de recommencer une nouvelle journée de folie."
Christian Miquel
Autre artiste alsacien. Le premier mot qui me soit venu à l'esprit "de l'art steampunk" : des vaisseaux spatiaux bricolés à partir d'objets anciens de toutes sortes, surtout en métal. Ambiance à la Jules Vernes. Un voyage vers l'imaginaire non dénué d'humour. Pour citer Serge Hartman : "L’air de rien, au-delà de cette prédilection mélancolique pour la rouille et le déglingué, Christian Miquel s’amuse parfois aussi à interroger notre monde."
Patrick Loréa (né en 1971)
Un artiste belge qui vit à Strasbourg. Des sculptures assez étonnantes. J'ai d'abord vu les cubes de plexiglas dans lesquels sont, comme gelés ou emprisonnés à l'intérieur, des têtes brunies et tordues. Cela rappelle surtout ces cadavres 'hibernatus" du néolithique que l'on retrouve pris dans des glaciers. Ensuite il y a ces visages en pleins cris ou ces torses tordus (en mélange d'acier, de bronze et de charbon) - rappels des moulages de cadavres de Pompéi, ou des cadavres figés en pleine fournaise. Mais selon les dires de l'artiste, ces cris peuvent aussi être compris comme des cris de joie ou d'orgasme. Mais il aurait du mal à nier que la mort et le cadavre n'est pas au centre de son travail.
Matteo Massagrande (né en 1959)
Trois peintures de petits formats (40x50cm) montrant des intérieurs d'appartements vides avec des perspectives (une porte vers une autre pièce, une fênêtre sur le reste de la ville, etc.). Facture très classique, mais les belles lumières et le "silence" des compositions rappelle Hammershoï (d'ailleurs, le titre d'une toile est "Interno, il silenzo opaco"), et le hiératisme des compositions peut rappeler Hooper, mais si ici le format est beaucoup plus petit et sans figure humaine. Sortes de miniatures hollandaises où l'on chercherait presque le "petit pan de mur jaune" que, dans Proust, Bergotte cherche dans un tableau de Vermeer.
Franco Cimitan
Artiste vénitien composant des paysages un peu lointain - huile sur bois, recouvert de cire. C'est cette cire qui donne ce "sfumato" si particulier, comme un paysage venant de très loin dans le passé (ou dans la mémoire). J'ai aussi pensé aux paysages de Corot - cette mélancolie si particulière.
Mitch Dobrowner
Je suppose que ce photographe est assez connu car ces photos me sont un peu familières : dans un noir et blanc très contrasé et très profond, ce sont ces ciels nuageux extraordinaires, des tornades, des paysages de far-west grandioses. Les grands espaces américains aux prises avec les phénomènes météorologiques grandioses. C'est un peu tape-à-l'oeil, un peu facile (même si j'imagine que prendre ces photos n'a pas été facile, pour le coup), mais ça reste très impressionnant, lunaire et métaphysique.
John Bulmer
Photographies de l'Angleterre populaire et ouvrière des années 1960 et 1970. On est clairement dans du reportage photo mais il y avait quand même plus d'intensité, de réalité sociale, et avec un regard plus affûté que dans les autres photos de la même galerie (les classiques de Wil Ronis revus 36 fois...). Et surtout la photo que j'ai mise en illustration : cet homme avec son chien qui observe le paysage industriel aux allures phantomatiques - alors que sa biographie dit qu'il a été un des pionniers de la photographie couleurs !
Patrick Bailly-Maître Grand
Je le cite parce qu'il a fait récemment la Une de l'actualité régionale, pour avoir fait don d'une grande partie de son oeuvre au Musée d'art Moderne de Strasbourg. C'est ue galerie qui présentait quelques photos, dont notamment une "Maximillienne" qui fait partie d'une série assez connue. Une drôle de mise en scène qui évoque un fait divers, une scène de crime, une photographie "médico-légale" improbable, mais en même temps, la monumentalité de la composition frontale peut aussi rappeler le Saint Suaire (dont beaucoup de représentations sont en rayon X pour révéler le visage du Christ.
Je cite l'article des DNA : "Le titre emprunte à l’exécution de Maximilien d’Autriche, empereur du Mexique, fusillé en 1867 à Querétaro. On sait que l’événement inspira Manet, mais c’est au photographe François Aubert, sur place au moment des faits, que l’artiste strasbourgeois doit l’impulsion première de ce travail. Aubert photographia la chemise de Maximilien qui avait été fixée sur une porte, macabre témoignage de l’exécution de celui que les républicains mexicains considéraient comme un tyran."
Citation de l'artiste : « La photo d’Aubert est troublante, parce qu’elle ne montre pas le corps de la victime, mais un élément vestimentaire totalement banal. Et pourtant, à travers ce vêtement, la dépouille de Maximilien est terriblement présente dans nos têtes ». Il s'agit d'une oeuvre unique : « Le procédé est celui du monotype direct. L’image est fixée directement sur du papier photographique, via une optique et une chambre conçue à l’échelle de l’objet placé dans le fond de la chambre. Après développement, il en résulte une œuvre en négatif »