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Xelias
2 juin 2008

Le Metier des Armes, Ermann Olmi (2002)

Le Métier des Armes, Ermanno Olmi (2002)69219837_af_w434_h_q80

Si Virgin Suicides ou Three Times cachent la précision de leurs rapport à l'histoire derrière des histoires sentimentales ou des drames de lycée, Le Métier des Armes, lui, affronte directement la question du film historiques en filmant les derniers jours et la mort de Jean de Médicis, dit des Bandes-Noires (1498-1526). Ce film se refuse à l'épopée ou au romanesque. C'est bien connu : pour filmer le passé, pour donner une impression de vérité historique, il y a certes l'importance de la documentation et du réalisme des décors, etc., mais il y a aussi le procédé de l'étrangeté : refuser au spectateur ses attentes et les clichés du genre pour renforcer le sentiment de distance et d'étrangeté qu'un homme du XXè siècle pourrait éprouver en étant projeté dans une autre époque (sans que le film soit plus "historique" pour autant). C'est ainsi que Olmi donne à son personnage principal une psychologie contemplative, presque mystique, sûrement peu "historique" mais qui correspond à la vérité d'une époque et d'un milieu assistant avec inquiétude au passage d'une ère à une autre, du Moyen-Âge à la Renaissance, des guerres à l'anciennes aux guerres modernes.

ilmestieredellearmi1Jean des Bandes Noires est à cet égard lui-même contradictoire : il est victime d'un boulot issu de cette artillerie nouvelle, mais il n'hésite pas à s'affranchir à son tour du code d'honneur de la guerre en teintant en noir les armures de ses hommes et en combattant en hiver. Il n'est par ailleurs porteur d'aucun idéal en particulier (le Jean historique a combattu aussi bien pour les Français, pour les Allemands et enfin pour le Pape contre les Allemands). La morale du film - si morale il y a, tendrait plutôt dans le constat que la guerre est plus une affaire politique qu'une question d'armes ou d'argent, un jeu d'alliances et de contre-alliances dans laquelle Jean et ses hommes ne sont que des pions abandonnés par le Pape.

mestier2Le contexte historique du film est la descente en Italie des troupe du Saint Empire de Charles Quint que Jean des Bandes Noires est chargé de harceler pour en ralentir la marches, mais avec sa mort rien n'empêchera désormais l'armée impériale d'en venir au Sac de Rome de 1527. C'est un tournant dans l'histoire de la Chrétienté mais Olmi a intelligemment relégué cet épisode en toute fin du film, de même qu'il n'a pas cherché à retracer toute la vie aventureuse ("digne d'un film"...) de Jean des Bandes Noires, pour se concentrer sur ces quelques jours où tout s'est joué. Cela accroît le côté décevant du film (ce n'est ni Jeanne d'Arc ni Braveheart !) mais donne une valeur décisive aux"non-événements" du film. Le plus caractéristique de cette époque, semble dire le film, ce n'est pas le Sac de Rome, mais bien cette guerre d'escarmouche dans une Italie du Nord hivernale.

Eviter le romanesque et éviter les "grands" événements de l'histoire, c'est reporter l'intérêt sur les petits moments, sur le quotidien, les états d'esprits, et sur la réalisation. Et on en arrive à la beauté stupéfiante des images : le cinéma nous avait habitué aux grandes fresques somptueuses, mais ici on pense plus au Moyen-Âge pasolinien du Decameron, mais en plus sobre, en plus réaliste; ou alors à l'aspect à la fois cru et très moderne du Jeanne d'Arc de Jacques Rivette, mais en plus esthétisant. Et la nature joue ici un rôle de tout premier plan : des vues de plaine recouverte par la neige, des bords de rivières où des chevaliers émergent du brouillard, ces arbres décharnés où pendent des cadavres...Il y a aussi les palais qui paraissent soudain inconfortables. Tout le film joue d'ailleurs assez subtilement sur l'arrière-plan artistique et iconographique d'une Italie en pleine Renaissance et en pleine gloire artistique. A travers les images elles-mêmes, et à travers la présence des lieux réels (les palais de Mantoue et d'autres villes) et des fresques que recouvrent leurs intérieurs et qui apparaissent ici dans une inquiétante étrangeté. On assiste nous aussi à une étrange époque encore engourdie dans un Moyen-Âge gothique et rural et une Renaissance urbaine.
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Et avec tout cela, je n'ai pas parlé de l'étrange figure de Jean de Médicis, sorte de figure christique abandonnée par tous, destiné à une passion lucide et pleine de compassion, comme s'il avait depuis longtemps accepté la coupe amère de son agonie. Son regard fixe, où coule une larme lorsqu'il regarde un enfant paysan assistant aux combats, a quelque chose d'énigmatique et donne une épaisseur et une vie à ce film qui sans cela aurait pu être trop hiératique et trop froid. Un critique l'a même comparé au Johnny Depp dans Dead Man, de Jim Jarmush.

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Commentaires
P
Une bonne critique.
Xelias
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