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Xelias
9 août 2008

Pirates des caraïbes, une leçon de cinéma

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J'ai déjà parlé ici en termes élogieux de la trilogie Pirates des Caraïbes, produite par Jerry Bruckheimer et réalisée par Gore Verbinsky. Je persiste et signe. Le visionnage des deux premiers opus accompagnés du commentaires des différents scénaristes s'apparente à une véritable leçon de cinéma et d'écriture scénaristique - à mon avis du niveau de la fameuse conversation Hitchcock-Truffaut (en espérant que les foudres des cinéphiles ne tombent pas sur mon humble demeure).

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Certes en aucun cas Pirates des Caraïbes ne se veut un "film d'auteur", mais qu'est-ce qu'un film d'auteur ? En leur temps, les Godard, Truffaut, Rohmer et autres critiques des Cahiers du Cinéma avaient fait leur mot d'ordre de considérer comme films d'auteurs des films de purs divertissements, les films noirs américains d'Howard Hawks ou autres comédies de Lubitsch, à l'encontre des films trop ouvertement intellectuels. Avec l'idée que le concept d'auteur se traduit dans la réalisation, dans les images, les figures, la vision du monde qui transparaît des choix de mise en scène, et non des intentions ou du simple aspect littéraire des films.

Certes Pirates des Caraïbes est un film de pirate, du pur divertissement, à proprement parler une attraction Disney mise en image pour faire jubiler petits et grands. Mais le divertissement est-il synonyme de mauvaise qualité ? Cela fait bien longtemps que les critiques ont abandonné la distinction divertissement = mauvais films et drames édifiants = bons films. Je pense d'ailleurs que cela date du moment où on s'est rendu compte que Charlie Chaplin faisait des films de foire et de cirques qui étaient en même temps de très grands films.

Il y a une phrase prononcée par l'un des scénaristes au cours d'un des commentaires et qui résume admirablement la grandeur (et les limites?) du film de divertissement (comique, d'action ou autre) : la seule chose importante au cinéma, c'est la relation entre le film et le spectateur, ce sont les émotions, les tensions, les attentes et les surprises que le film aura su susciter dans l'esprit du spectateur. Parce que, au final, il n'y a que cela qui aura existé réellement. C'est d'ailleurs exactement ce que disais Hitchcock : tout l'art d'un bon film (hollywoodien) tient dans ce jeu avec les réactions du spectateur, en les anticipant, les frustrant, les surprenant, aussi bien dans la construction générale du film et des personnages qu'à l'intérieur de chaque scène (suspense, comique, émotions...). Jouer avec les réactions du spectateur suppose aussi jouer avec les lois du genre qu'il connaît et qu'il reconnaît et il n'est pas facile de trouver le bon dosage entre la conformation avec les canons d'un genre (pour rendre le film visible et lisible) et l'originalité nécessaire pour créer la surprise et réaliser un film qui sorte du lot.

A cet égard, les commentaires audio des scénaristes sont une mine d'or du genre. Chaque aspect du film est une trouvaille scénaristique (les apparitions de Johnny Depp au début de chaque film) mis chacune de ses trouvailles s'insère parfaitement dans le mouvement d'ensemble. Et quand je parle de trouvaille, il ne faut pas entendre par là un simple bricolage d'amateur : les commentaires regorgent de termes rhétoriques et poétiques extrêmement rigoureux : à cet égard, les véritables disciples d'Aristote et des tragédiens classiques français, ce sont les scénaristes américains. Cela, on le savait depuis longtemps (cf. les innombrables manuels de scénarios venus d'outre-atlantiques), mais là où Pirates des caraïbes est vraiment époustouflant, c'est dans le brio avec lequel toutes ces recettes sont intégrées, assimilées et restituées avec un sens de la création rarement égalé dans les autres productions américaines (et ne parlons pas du cinéma français..).

Mais qui sont ces scénaristes ? En voici quelques noms, avec entre parenthèses quelques uns de leurs précédents travaux (merci Allociné...) :

Terry Rossio (Le Masque de Zorro, Shrek, Benjamin Gates...) Ted Elliot (Les Maîtres du Monde, Small Soldiers, Shrek, Benjamin Gates) Jay Wolpert (La Vengeance de Monte-Christo) Stuart Beattie (Collateral, de Michael Mann, Australia, de Baz Luhrmann, mais aussi Dérapages, avec Vincent Cassel) pirates2

Vous voyez, je ne cache rien : ces scénaristes sont de purs "produits d'Hollywood" comme on dit, spécialisés dans les films d'action, d'aventures, de divertissement. Mais quelque chose s'est passé pour Pirates des caraïbes : est-ce le projet en lui-même qui les as inspirés plus que de coutume ? Est-ce le fait de travailler en équipe, sous l'impulsion de Jerry Brickheimer puis de voir leur travail mis en images par Gore Verbinsky ? En tout cas on ne peut nier que le scénario de Pirates des Caraibes est bien plus complexe, plus élaboré et renvoie à un univers visuel et littéraire bien plus riche que la plupart des autres films auxquels ils ont collaboré.

A défaut de restituer ici une transcription de ces commentaires (mais c'est une idée...), voici quelques axes de réflexion.

Déjà il y a la distinction entre le complexe et le compliqué. Pirates des Caraïbes est un scénario complexe : il y a beaucoup de personnages, chaque personnage renvoie à un passé, à une histoire, à un univers; chaque personnage a sa propre quête : il y a d'ailleurs tellement de quêtes opposés par rapport aux objets des quêtes (le Black Pearl, le trésor, la boussole) qu'une des caractéristiques de la trilogie est que les personnages ne cessent de passer des alliances, de marchander leurs services, de se mentir et de se trahir mutuellement. pirates3On arrive ainsi à des scènes d'action où trois personnages se battent mutuellement entre eux, ou à l'inverse ou plusieurs personnages se partagent une même épée face à des adversaires plus nombreux. C'est vrai que dans le troisième opus, cette surenchère de mensonges, de manipulations et de trahison fait qu'on a un peu de mal à suivre tous les rebondissements du récit, mais il n'empêche que chaque film, et chaque quête pour chaque personnage peuvent être résumés en une phrase simple et que la structure d'ensemble est toujours solide. (épisode 1 : Will aime Elizabeth d'un amour impossible, Elizabeth est enlevée et Will va s'allier avec Jack Sparrow pour la retrouver, et à la fin ils pourront s'aimer mutuellement) (épisode 2 : pour sauver Elizabeth, Will doit retrouver la fameuse boussole que détient Jack Sparrow. De son côté, Jack Sparrow doit retrouver le coeur de Davy Jones enfermé dans un coffre s'il ne veut pas être englouti par le Kraken mais pour utiliser la boussole qui indique ce que l'on désire le plus au monde, il va devoir manipuler Will et Elizabeth).

Par opposition, le compliqué, ce seraient des films (français?) où l'action serait beaucoup plus simple, mais les discours explicatifs ou psychologiques beaucoup plus compliqués, sans structure claire et forte. Bien sûr, cet accent mis sur les quêtes, la structure, les rapports entre les personnages relève d'un certain classicisme qui, justement, avait été mis à mal par la Nouvelle Vague qui chercha à casser cette vision du monde trop simpliste en mettant en valeur les fragments, le compliqué, la parole, l'incohérent, le vide, l'errance plutôt que la quête.

On peut aussi opposer Pirates des Caraïbes à Master and Commander. Master and Commander, tout en étant un grand film d'aventures maritimes avec un budget assez conséquent, a une approche très moderne dans le choix de l'histoire, presque anecdotique, dans le fait qu'il refuse toutes les emphases qu'on aurait pu redouter (il reste à la limite du fantastique, il n'y a pas d'histoire d'amour, l'achernement du commandant ne vire pas dans la folie) et dans le réalisme non seulement des décors mais aussi des personnages et des psychologies. On pourrait résumer les différences en disant que Master and Commander existe en lui-même, ce qui es important cest ce qu'il raconte, les personnages ont presque une existence réelle, il y a un rapport au "réel" alors que Pirates des CaraÏbes est du pur divertissement : comme les scénaristes l'ont dit fort justement : c'est du cinéma, la seule chose qui existe, c'est la relation du film aux spectateurs (et non pas la relation du film au réel) et le film n'existe pour ainsi dire pas en dehors de cette relation.

La modernité de Pirates des Caraïbes tiendrait plutôt dans une certaine "post-modernité", c'est-à-dire une relecture des canons du genre qui sont poussés à leur extrême, jusqu'à presque se dissoudre dans une surenchère de quêtes, d'aventures, de spectacle (comme Tarantino fait une relecture des films de karaté ou des films de série Z).

Bref, pour reprendre le film du ce post, une deuxième piste de réflexion autour du travail des scénaristes (et, pour le coup, du réalisateur), c'est qu'en réfléchissant de manière extrêmement poussée sur les "quêtes" des personnages et sur le "schéma actantiel" (les quêtes, les obstacles, les adversaires et les alliés, les quêtes secondaires, etc.), le film devient une véritable mécanique abstraite, en dépit de son apparence visuelle très exubérante. Et ce mélange entre un travail sur la structure du scénario et une recherche d'originalité pour que chaque instant soit un morceau de bravoure de scénario et de réalisation, ce mélange permet l'apparition de "figures" assez fortes. Par exemple, pour le deuxième film, l'importance de la roue avec des personnages emportés qui doivent à la fois faire leurs propres mouvements (se battre, fuir des ennemis) et suivre les mouvements de cette cage ou de cette roue à moulin qui les emporte à son rythme effréné. pirates1Un peu à l'image du film en lui-même. Ou toutes les prémonitions à propos de Jack Sparrow : à sa première apparition, il sort d'un cercueil; sur l'île où se trouve le coffre, il tombe dans une fosse creusée mais vide, tout ça pour qu'à la fin il se fasse engloutir par le Kraken et que ses amis doivent le chercher dans le royaume des morts. Et on peut continuer comme cela longtemps.

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