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Xelias
7 septembre 2012

Il faut être absolument moderne (les Médias au ciné 2)

La citation vient de Rimbaud, à la fin d'« une saison en enfer ». On a déjà mêlé ce pauvre Rimbaud à tellement de sauces que je me suis permis de le réutiliser ici.

En fait, tout a commencé avec Avatar (James Cameron, 2009).

J'avais été à la fois séduit par la beauté des décors et l'utilisation de la 3D, impressionné par le gigantisme de l'entreprise, et énervé par certains aspects du scénario. Notamment une vision très naïve de la nature. L'optimisme vaguement new age de Cameron était loin, très loin, de l'écologisme « spinoziste » de Myazaki (la nature comme force, sans considération pour le bien et le mal tels qu'ils sont vus par les hommes). Ce n'est pas dans Nausicaa de la Vallée du Vent (1984) qu'on aurait vu les insectes géants (les « ömus ») prendre fait et cause pour les gentils et se battre contre les méchants, comme c'est le cas pour les animaux lors de la bataille finale d'Avatar.

Mais j'ai déjà parlé de ça ailleurs (d'ailleurs, en relisant l'article, je le trouve inutilement méchant, mais bon). Mon propos est ici la référence aux médias – et force est de constater qu'il n'y en a quasiment aucune.

De mémoire, la seule référence est une phrase du colonel Quaritch, le méchant de l'histoire, qui dit qu'il aimerait éviter un conflit armé car ça serait mauvais pour l'image de la multinationale pour laquelle il travaille. En sortant du film, je me suis dit que le film était peut-être passé à côté de quelque chose d'important, et c'est comme ça que j'ai commencé à réfléchir à la place des médias dans le cinéma...

 

Un peu d'histoire

(Merci Wikipedia !).

Raoni Metukire était l'un des grands chefs du peuple des Kayapos qui vivent au coeur d'une réserve protégée dans la forêt amazonienne – un territoire menacé par la déforestation, la culture du soja et la construction de barrages hydroélectriques. Je ne sais pas si lui ou son peuple ont envisagé le recours aux armes comme ça a pu être le cas ailleurs, mais c'est grâce à l'engagement de Sting et de la grande campagne de communication de 1989 que la construction d'un barrage a pu être arrêtée et que la plus grande réserve de forêts tropicale du monde a pu être créée. - même si la déforestation continue de plus belles sur les zones non protégées, évidemment.

http://www.dailymotion.com/video/xddyh7_sting-fragiled_music

En 1989 déjà, l'arme la plus efficace contre la menace industrielle était la communication, c'est évidemment encore le plus le cas aujourd'hui à l'heure d'Internet, de Facebook, de Youtube et des pétitions on-line. Et quand on assiste à des opérations coups de poing, à la limite de la légalité, de Greenpeace par exemple, elles sont généralement filmées et leur impact se voit généralement plus par rapport à l'opinion que pour les résultats immédiats de l'action elle-même. (Les lecteurs de Yagg penseront peut-être plus aux kiss-in, aux mobilisations contre l'homophobie dans tel ou tel pays, au projet « It gets better »...)

Si le 21è siècle est le siècle de la communication, de l'opinion globale et du marketing, que peut-on imaginer qu'il en sera en 2154 ? Il faut croire que contrairement aux progrès des moyens de transports qui permettent de voyager sur d'autres planètes, et contrairement aux progrès de la génétique qui permettent de créer des « avatars », la communication, elle, a subi un sévère retour en arrière car à aucun moment nos héros ne semblent avoir l'idée de faire appel à l'opinion publique pour faire plier la multinationale. Mettre des vidéos de la forêt sur l'équivalent futuriste de Youtube pour convaincre de la nécessité de la protéger ? Joindre l'équivalent futuriste de Wikileaks pour lui transmettre des infos sur ce qu'il se passe sur cette planète lointaine ?

Hé non, rien de tout ça. James Cameron a eu l'idée de ce film en 1994 mais cette histoire aurait aussi bien pu être écrite dans les années 1970, voire même dans les années 1950 à l'époque des premières réflexions « relativistes » d'anthropologues comme Levi-Strauss (même si je pense que la vision des tribus indiennes par Levi-Strauss est un peu plus complexe que celle présentée dans le film...).

Le problème que soulève une telle analyse, c'est qu'elle invalide complètement le message pseudo-engagé du film. Certes le film se présente comme une ode écologique pour la protection de la nature contre les méchants industriels. (Hum, le film est l'un des plus chers de l'histoire du cinéma, il a été réalisé avec les technologies les plus avancées, il sort sur plus de 14 000 écrans dans 106 pays...). Mais même par rapport à son contenu, il est tellement déconnecté de la manière dont nous vivons et communiquons aujourd'hui qu'il ne propose absolument rien de concret, qu'il n'offre qu'un engagement de surface, une vague indignation. Sauf à penser qu'il prône la défense armée contre les multinationales...

En gros, c'est trop facile.

C'est comme dire que la prostitution c'est pas bien. Que la guerre, c'est pas bien. Que les méchants, c'est pas bien. Il ne s'agit pas d'être moderne juste pour être moderne, pour être à la page avec des films du type Vous avez un e-mail ou autre. Mais de proposer une vision forte de notre société. La fonction de la science-fiction consiste justement à cela, d'interroger ce qui n'est que latent dans notre civilisation en le mettant en relief dans l'avenir, que ce soit les systèmes politiques, les progrès « faustiens » de la biologie ou de la technologie, etc.

Certes, « Avatar » ne se voulait pas être du Philippe K Dick. Mais à mon avis, on pouvait très bien faire une grande histoire d'amour sur une planète à la nature luxuriante, doublée d'un conflit pour la défense de la tribu des Na'vi qui termine en conflit armé, tout en proposant une vision plus actuelle de ce que peut être un tel conflit dans le présent ou dans l'avenir. Il aurait suffi d'ajouter, par exemple, un personnage de journaliste, du genre un journaliste scientifique qui se retrouverait soudain reporter de guerre à corps défendant.

En guise de conclusion : Je viens de voir que depuis 2009, James Cameron soutient publiquement Raoni Metukire dans sa lutte contre le barrage de Belo Monte dont la construction vient d'être arrêtée . Les différentes pétitions semblent avoir recueilli plusieurs millions de signatures. C'est juste dommage que la leçon de cette aventure réelle ne se retrouve pas dans le film.

Un tout petit peu de philosophie

En faisant l'impasse sur les médias, ce genre de films laissent croire à une essence éternelle de l'homme, alors que la manière dont nous vivons, dont nous pensons, dont nous intér-agissons avec les autres dépend intimement de la société où nous évoluons (ses techniques, son économie, ses modes de communication...). Beaucoup trop de films reposent sur une vision de l'homme qui date des romans du 19è siècle, sans voir à quel point nos conditions de vie ont changé depuis l'époque de Balzac et de Hugo.

Dire qu'aujourd'hui Romeo et Juliette communiqueraient par Facebookf et Twitter n'est pas qu'une boutade, à condition d'en tirer les conséquences jusqu'au bout et de voir comment les nouvelles technologies peuvent influer sur la nature même de leur relation.

Par ailleurs cette idéologie d'une nature éternelle de l'homme, qui fait que la psychologie des personnages sera la même que l'on assiste à un peplum ou à un film de science-fiction, participe aussi à un certain « impérialisme américain » qui, sous couvert d'une nature humain, ne fait que répandre son propre mode de vie et de penser. Mais je vais finir par parler du slogan « Born this way » et je vais encore m'énerver contre Lady Gaga, alors je m'arrête là.

Un film populaire moderne est possible !

Il suffit de songer à deux films très différents, et pourtant très proches par certains points : The Truman Show (Peteir Weir, 1998) et The Hunger Games (Gary Ross; 2012). Deux films sur un jeu de télé-réalité pas comme les autres, et porteurs d'un message fort sur notre société contemporaine.

De la comparaison, The Truman Show sort vainqueur à mon avis. The Hunger Games n'est pas inintéressant, mais souffre de se vouloir explicitement comme un film à destination des adolescents : d'où l'accent qui est largement mis sur les émois et les difficultés de l'héroïne, plutôt que sur la société dans laquelle cette histoire prend place, ou sur le double statut de l'héroïne (jouet manipulé par le pouvoir, et icône pour la population de son district). Le résultat n'est pas mauvais, mais assez frustrant : on assiste effectivement à des scènes où on voit que le jeu est faussé, manipulé par les organisateurs et par le pouvoir qui surveille tout cela de très près, on assiste à une scène de révolte vite matée dans le « district des noirs ». Je n'ai hélas absolument aucune idée si toutes ces intrigues parallèles sont plus développées dans le roman ou non. Mais j'avais quand même la vague impression que le réalisateur, tout en abordant ces sujets, n'avait pas vraiment conscience du potentiel critique et politique énorme de son sujet (ou qu'il ne voulait et ne devait tout simplement pas « prendre la tête » de son public s'il voulait viser une rentabilité rapide et maximale).

The Truman Show exploite à fonds la situation en révélant l'envers du décor, c'est-à-dire le processus technique du jeu (les caméras cachées un peu partout, les techniciens et les monteur chargés de surveiller ce qu'il fait, les publicités), et aussi les interactions entre le public et l'émission (les réactions des spectateurs à travers le monde, les moments où le réalisateur répond aux questions du public, etc.). Bien que réalisé en 1998, le film continue à nous parler de la manipulation et de la tentation démiurgique à l'oeuvre derrière le concept de « télé-réalité ».

The Hunger Games joue sur le contraste entre l'hyper-technologie de la capitale et l'univers pré-industriel des Districts, sans parler de la survie en milieu hostile avec une corde et un couteau... Mais malgré tout le film développe lui-aussi une situation médiatique assez complexe et plutôt bien réfléchie, mais c'est comme si, pris de peur par son propre caractère explosif, il s'était arrêté à mi-chemin.

Dans tous les cas, ces deux films montrent que prendre comme sujet les médias contemporains, loin d'être contre-productifs, peuvent se révéler de véritables mine d'or en terme de scénario, de mise en scène, et de pertinence du discours.

(Pour le coup, je ne peux pas critiquer The Hunger Games de ne pas imaginer le futur des médias, puisque la civilisation de « Panem » semble avoir inventé des caméras invisibles, omniprésentes et voyant tout... Je ne sais pas si la situation est décrite plus précisément dans le roman. Ca aurait été drôle s'il y avait eu des caméramen suivant les personnages – comme dans Koh-Lantas : ils les filmeraient s'entretuant, ayant faim, soif, blessés, mais sans jamais intervenir et en rentrant chez eux chaque soir. On aurait pu imaginer aussi une éventuelle intrigue sur un cameramen tombant amoureux de l'héroïne, décidant de l'aider ou de la prévenir que le jeu est manipulé...)

 

Bon, je vais m'arrêter là pour aujourd'hui. Sinon je vais finir par réécrire Avatar et The Hunger Games (après avoir réécrit Batman, etc.). Je n'ai pas les compétences pour ça. Je vais me contenter de réfléchir sur ce qui existe. Dans mon troisième (et dernier?) texte de cette série, il sera cette fois question de fantômes et de morts-vivants.

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