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Xelias
3 janvier 2008

Génériques et débuts de films

18460785_w434_h_q80Dans les cours de cinéma, on parle souvent des premières images d'un film. Elles sont supposées être cruciales, décisives, sur-signifiantes, comme une sorte de résumé ou de microcosme du fil dans son entier. Et c'est effectivement le cas dans beaucoup de films, notamment dans ceux qui suivent la tradition du plan séquence d'ouverture (de La Soif du Mal - Orson Welles, 1958 - à The Player - Robert Altman, 1992...). Mais dans beaucoup d'autres, j'ai été au contraire frappé par l'insignifiance de ces premières images. Dernier exemple en date pour moi : le début de Gone Baby Gone (Ben Affleck, 2007) qui présente simplement la banlieue de Boston où se déroule l'action, en une séquence quasi-documentaire. On voit des jeunes gens traîner sur le perron de leur immeuble, des enfants jouer au base-ball, des travailleurs vaquer à leurs occupations. C'est un procédé assez fréquent : ces images demandent suffisamment peu d'attention pour présenter le générique en même temps. Autre style de générique : les images plus graphiques. Soit des images réelles qui détaillent un objet de très près avant de s'en éloigner à la fin du générique et on voit l'objet au centre d'une action qui commence le film. Il y a le corps de Catherine Deneuve comme générique célèbre de La Vie de Château (Jean-Paul Rappenau, 1966) mais les cas sont légions. Soit, surtout pour les films américains, les images de synthèses quasi-abstraites dont on ne comprend ce qu'elles détaillaient qu'à la fin (ce qui n'est pas si éloigné du procédé avec des images réelles). Etait-ce La Guerre des Mondes, de Steven Spielberg, qui commençait par l'image d'un atome devenant, par ce qu'il faut bien appeler un travelling arrière, neurone puis cerveau puis être humain puis planète Terre ? J'ai aussi été récemment frappé par le début de XXY (Lucia Puenzo, 2007) présentant le métier du père du personnage principal (c'est un biologiste autopsiant une tortue morte et déterminant son sexe) en alternance avec des images de créatures sous-marines aux formes étranges. On peut difficilement analyser ces images sous-marines en termes narratifs : elles ne donnent aucune information pour la suite de l'histoire, on ne les reverra pas. Mais elles créent auprès du spectateur une impression étrange, une sorte de malaise devant ces créatures aux formes primitives, organiques, mouvantes, indécises. Sans compter l'idée de totalité, de liquide amniotique, de milieu originel associée au motif de la mer. Toutes ces impressions sont ainsi intimement liées au sujet même de l'histoire, l'hermaphroditisme (le fait de naître avec des attributs mâles et femelles). Ce qu'a voulu faire le réalisateur, c'est en quelque sorte montrer le milieu organique et primitif d'où sont issus ses personnages, montrer directement le sujet même de son film derrière les apparences, derrière les "masques" que sont l'histoire, les personnages, etc. Et ce principe peut être appliqué aux exemples précédents : il ne s'agit pas simplement de jolies images illustrant le générique en attendant le début de l'action. C'est bien plus profond que ça : ces images sont à voir comme la matière première d'où le film tire son origine. C'est assez clair pour Gone Baby Gone : l'histoire que le film va nous raconter est issue de ce quartier, elle y est intimement liée, organiquement même. Elle s'en détache parce qu'il faut bien raconter une histoire, parce que le film prélève des personnages et des événements à ce fond, mais ce fond n'est jamais très loin et menace toujours d'englober à nouveau l'histoire, comme c'est le cas à la fin du film où l'histoire n'aura été qu'un fait-divers, qu'une vague parmi d'autres dans la vie de ce quartier. Pour Gone Baby Gone, cette matière première est quasi-documentaire. Pour d'autres, elle est plus organique ou plus graphique. C'est un peu comme les sculptures de Rodin qui émergent de leur bloc de marbre : le récit, les personnages, les dialogues, la narration émergent d'un fond qui n'est ni narratif et ni représentatif. Certains films plus que d'autres jouent avec cette tentation de retourner à ce magma d'images et de son sans sujet ni sens, de l'approcher, de le frôler (David Lynch est peut-être le maître pour cet art de faire émerger des bribes d'histoires qui se construisent progressivement à partir d'un tout qui est d'abord formé d'impressions visuelles et sonores mais même dans les films les plus classiques, ce "magma" n'est jamais très loin). Alors voilà, il y a les débuts très narratifs, très "apolliniens", qui jouent avec art de leur fonction d'exposition, et il y a les débuts d'apparence plus anodine mais plus visuels, plus "dionysiaques" (pour reprendre la distinction nietzschéenne) qui présentent la réalité chaotique d'où une histoire va émerger.
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Xelias
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