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Xelias
14 juillet 2009

Réfutation de Thoreau

Henry David Thoreau est assurément un philosophe de l’ennui.

Fuir la civilisation, se ressourcer au contact avec la nature, vivre de la contemplation, de la méditation et de la promenade sont quelques unes des idées fortes de sa pensée. Si, si, on ne dirait pas comme ça, ce sont des idées fortes. Pour un homme né en 1817 aux Etats-Unis, dresser une critique radicale de la société, prôner la « désobéissance civile » (c’est le nom d’un de ses ouvrages) et poser quelques bases philosophiques de ce qu’on appellera l’écologie et la décroissance, c’est déjà pas mal.

Son influence a été considérable – cf. Le Cercle des Poètes Disparus, de Peter Weir, et surtout Into the Wild, de Seann Penn, qui illustre la tentative d’un jeune homme de vivre selon ce genre de préceptes (ce qui aboutit à une impasse d’ailleurs).

Et justement, parfois il m’énerve un peu, ce Thoreau. Peut-être pas lui directement (je n’ai pas lu ses ouvrages), mais ce qu’on en fait et la manière dont on le brandit constamment. Déjà avec Into the Wild. Mais avec d’autres films ou des articles que j’ai pu lire ici ou là. Par exemple dans cet article de la Revue des Ressources : ici.

D’où mon idée d’une courte « réfutation de Thoreau », histoire de clarifier un peu les choses (au moins pour moi même).

Pour vous donner une idée, voici trois citations de Thoreau extraites de l’article :

« Lorsque je veux me recréer je cherche le bois le plus sombre, le marais le plus touffu, le plus interminable et, aux yeux du citadin, le plus affreux. Je pénètre dans un marais comme en un lieu sacré (...) et la même terre est bonne pour les hommes et pour les arbres. »

« J’aime la Nature en partie parce qu’elle n’est pas l’homme, mais une retraite pour lui échapper. Aucune des institutions humaines ne l’a soumise, ni pervertie. (...) L’homme est contrainte, la Nature est liberté. (...) Aucune des joies qu’elle offre n’est sujette à nos règles et à nos définitions. »

« Ces mouvements partout dans la Nature sont certainement la pulsation divine. La voile qui s’enfle, le ruisseau qui court, l’arbre qui ondule, le vent qui erre..., d’où leur viendraient autrement cette excellence et cette liberté infinies ? Je ne vois rien de meilleur ni de plus sacré que des ébats sans fin dans le jardin que dieu a crée pour nous. Cette pensée exclut le soupçon du péché. Oh ! si les hommes sentaient cela, ils ne construiraient jamais de temple, même de marbre ou de diamant, de crainte de commettre un sacrilège, mais ils se récréeraient toujours dans ce Paradis. »

Un aveu pour commencer : j’ai eu ma période Thoreau.

C'était juste après ma période « christiannisme »... Ca m’a fait beaucoup de bien. J’étais au collège et je partais en forêt le matin, le soir, en journée. De temps à autre je lâchais les rênes de mon vélo pour marcher en silence au milieu des arbres qui ondulaient lentement sous le vent, à l’affût du moindre bruit, du moindre souffle. Et les formes des pierres, des ravins, la textures des écorces et des mousses acquéraient une présence singulière, je pénétrais peu à peu dans un monde fantastique, le vide se faisait en moi, je me sentais loin, très loin du monde dont la rumeur me parvenait étouffée de la vallée. A mon retour, je me sentais un peu différent, un peu grandi. J’avais développer cette part de moi qui est capable de se retirer du monde et de le regarder sans y prendre part.

(C’était peut-être cette même partie « érémitique » de mon âme qui, se sentant différente des autres, m’avait poussé dans la religion.)

Tout ça pour dire qu’il faut effectivement passer par une « phase Thoreau » : elle est même indispensable pour l’équilibre de son âme et de son corps. C’est un peu la suite de Descartes : notre âme possède une capacité infinie de retrait en soi. Il faut savoir ne pas adhérer au monde, et la nature peut nous y aider. Au-delà des mouvements des masses et au-delà des petites individualités que nous développons en société, le retour à la nature déclenche un mouvement qui nous fait atteindre un moi plus profond : plus authentique et plus cosmique à la fois, ce qui en nous nous rattache au monde. C’est le genre d’idée qui dévie très vite vers  un transcendantalisme métaphysique à deux balles, entre un « digest » de bouddhisme et de zen mais bon, il y a de ça. Et c’est intéressant de savoir que ce genre d’idées a aussi été pensé par des occidentaux.

Bon, ça, c’est fait.

C’est bien joli tout ça mais ça ne va pas très loin. On pourrait reprocher à Thoreau de proposer un modèle complètement utopiste qui serait difficilement réalisable à une grande échelle et qui ne tient aucun compte des réalités sociales et politiques – mais Thoreau lui-même revendique de ne pas proposer une œuvre politique…

Cependant, du peu que j’ai pu en voir, son discours n’est pas très dialectique.

La Nature est belle et bonne ! Une fois ressourcé dans la nature l’homme est bon ! Etc. Je veux bien reconnaître qu’il y a quelque chose de non-humain dans la nature qui fait du bien à l’homme, une étrangeté radicale avec laquelle il doit (un peu) apprendre à renouer. De là dire que la nature est belle, ça me paraît aussi pertinent que de dire qu’elle est laide – ni laide, ni bonne, elle me paraît surtout indifférente et cruelle. Quant à commencer à parler de Dieu – le Dieu des jolies fleurs et des montagnes grandioses ? Il faudrait peut-être commencer par dire que la nature n’est pas un lieu d’harmonie. L’harmonie que l’on croit déceler n’est qu’une succession de déséquilibres (dans la population des espèces animales ou végétales, dans la répartition de la « chaîne alimentaire »…) qui se résolvent comme ils peuvent par la force des choses. Je ne crois pas qu’aucun savant n’oserait avancer l’idée d’une harmonie ou de la simple possibilité d’un plan préétabli là-dedans.

Quant aux rapports de l’homme à la nature, ils sont loin d’être évidents.

« L’homme est contrainte, la nature est liberté. » Il peut-être juste de dire que la société aliène l’homme et qu’il ne se retrouve que dans la solitude et la nature – mais il est tout aussi juste de dire que l’homme n’a rien à faire seul dans la nature et que sa nature humaine ne se réalise que dans la société. Je ne crois pas que les animaux ont jamais eu la moindre liberté – si ce n’est celle de faire ce que leur instinct les pousse à faire. Tandis que l’homme le plus sauvage, le plus isolé, a toujours pour lui d’avoir fait le choix de quitter ses proches et son village. Le fantasme de l’union avec la nature est un leurre qui ne cesse de m’agacer.

Et si la société court à sa perte, que ce soit dans la destruction de la nature et des sociétés elles-mêmes, ou dans son fonctionnement interne (pour ceux qui ne supportent pas les codes sociaux), partir dans la nature est une attitude possible – mais cela ne signifie pas pour autant que la civilisation incarne le mal.

Ce que j’aurais tendance à reprocher à Thoreau, ce serait de n’être pas tragique…

Certes il vaut mieux suivre Thoreau dans les bois que rouler en 4x4 au centre-ville de Paris. Mais c’est ce sens du tragique (l’idée que l’homme est une contradiction, que son destin le mène à sa ruine, que quelle que soit la solution on aboutit à une impasse) qui manque terriblement à ses avatars filmiques ou réels !

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Xelias
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