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Xelias
3 janvier 2010

Le film d'horreur (1/2)

Pourquoi le film d’horreur est une forme de cinéma pur ?

(Notes de lecture sur Le Cinéma d’horreur et ses figures, d’Eric Dufour, PUF 2006)

poules


Le film d’horreur n’a pas bonne presse : en gros c’est un cinéma pour ado attardés fans d’hémoglobine, ou alors pour passer de bonnes soirées de rigolade entre amis, se faire des frayeurs, mais précisément « sans se prendre la tête ». Les cinéphiles accorderont peut-être à Kubrick le mérite d’avoir réalisé Shining, David Cronenberg a aussi un statut un peu privilégié, et George Romero celui de fondateur mais les Dario Argento, Mario Bava, Wes Craven et autres Sam Raimi sont plus souvent rangés du côté des petits plaisirs coupables et kitsh…


Mais commençons par ce premier constat et retournons-le dans l’autre sens. N’est-ce pas un signe de « cinéma pur » que d’être du divertissement et rien d’autre ? de n’exister que dans ce qui se passe entre le film et le spectateur ? (C’était déjà l’aspect le plus important du cinéma pour Hitchcock…). Un « chef d’œuvre officiel du 7è art » touche souvent à d’autres sphères que celles du cinéma seul : la philosophie, la littérature, l’histoire, la peinture… Un film d’horreur, à un premier niveau, ne prétend pas exister ailleurs quand dans une salle de cinéma et la tête de ceux qui l’ont vu.

halloweenOn a aussi pu comparer les films d’horreurs aux films porno (ils passaient un temps dans les mêmes salles) pour mieux les assimiler et le rejeter en bloc. Dans les deux cas, certes, le scénario peut être plus que bâclé pour concentrer tout l’intérêt du film sur des scènes qui exhibent ce qui est d’ordinaire caché dans le cinéma classique, et ce de manière obscène et répétitive, avec l’attention concentrée sur l’éjaculation (du sperme ou du sang…). Mais la différence entre les deux est beaucoup plus fondamentale que leurs points communs : le film porno repose sur un réalisme intégral : ce qu’on voit se passer sur scène est vrai, non simulé, et c’est cela seul qui est excitant (le montage ne construit rien du tout, il montre juste des détails, des gros plans et des plans d’ensemble…). Face au film d’horreur le plus réaliste possible, le spectateur le plus impressionnable possible saura toujours que la personne filmée n’a pas vraiment été découpée en morceaux… Donc le cinéma d’horreur, dans ce qu’il est de plus spécifique et de plus fort, « c’est du cinéma » : le spectateur adhère à une réalité virtuelle, construite par l’art des effets spéciaux et du montage, tout en sachant que ce monde n’a jamais existé hors du film qu’il est en train de voir.


Cela pose d’ailleurs parfois problème, justement, d’où la prolifération récente des films cherchant à tout prix à rendre « crédible » l’énonciation même du film par l’emploi de caméras dans le film : les Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, le dernier Roméro, les deux Rec de Paco Plaza et Jaume Blaguero, Paranormal Activity d’Oren Peli…C’est le signe d’une nouvelle phase de l’évolution du film d’horreur (américain) : l’âge d’or de la croyance dans le pouvoir du cinéma est terminée et le genre ne peut continuer que dans une surenchère qui devient alors comique et parodique, ou au contraire dans un minimalisme qui cherche à tout prix à faire croire au spectateur que ce n’est pas du cinéma… (Mais heureusement cela ne vaut pas de manière générale, et le cinéma d’horreur japonais ou autres nous révèlent encore de très bonnes surprises, aussitôt adaptées par Holywood !)


ring

Certains films d’horreurs sont adaptés de romans, beaucoup d’autres pas du tout. Certains thèmes se sont développés spécifiquement au cinéma, comme le concept des séries au personnage récurrent (les Freddy, les Jason, etc.) ou au thème récurrent (les zombies…), le genre du « slasher » (une bande d’amis qui se fait décimer…), etc. Mais dans tous les cas, le principe même du film d’horreur est irréductible au cinéma. L’adaptation d’un récit littéraire pourra utiliser les moyens propres au cinéma (montage, cadrage, etc.) : il n’empêche qu’au final, le film et le texte auront raconté la même histoire. La scène d’horreur, elle, ne raconte rien, ne suggère rien, ne représente rien : elle exhibe ce qui justement ne peut pas passer par des mots, elle montre l’Innommable. Le passage d’une scène d’horreur littéraire à une scène d’horreur filmée peut être décevant – il n’empêche que c’est cela justement que l’on cherche dans un film d’horreur (à savoir la chair, le sang, les trips, l’agonie… : l’horreur). Et que le passage du texte au film n’est pas une question d’adaptation d’une représentation à une autre, mais bien du passage d’une représentation (par des mots) à une monstration (par des images). L’image d’horreur n’est pas un signe.

the_thing


À noter que le film d’horreur ne fait pas forcément peur (et fait parfois rire…). Et un grand nombre de films qui font très peur relèvent plus du fantastique que de l’horreur. La peur est la peur de quelque chose qui va arriver, elle se projette dans le futur (d’où le suspense, etc.). L’horreur, elle, est là contemplation de quelque chose de présent. L’un et l’autre vont ensemble, certes (l’horreur comme aboutissement de la peur) mais les mécanismes (cinématographiques, psychologiques, philosophiques…) ne sont pas les mêmes.


Si le film d’horreur se présente comme un pur divertissement, il n’en fait pas moins appel à nos terreurs les plus profondes, nos peurs les plus enfouies. Et loin de nous détourner de sujets plus importants, il nous met au contraire le nez en plein dans ce que nous sommes, dans ce que nous ne voulons pas voir. On peut dégager plusieurs grands thèmes de la masse des films d’horreur :


rec- la confrontation avec l’altérité, avec tout ce qui est radicalement non-humain (des Aliens de Ridley Scott et James Cameron à The Thing, de John Carpenter etc.)

- la précarité du corps humain face aux métamorphoses qui peuvent l’affecter (La Mouche, de David Cronenberg)

- la déréliction du corps social (tous les films de morts-vivants depuis Romero, The Mist, de Franck Darabont…)

- la question de l’inconscient, évidemment (surtout familial : les fautes des parents se reportent sur les enfants, de la série des Freddy à L’Orphelinat, de Juan Antonio Bayona)

- le masque, l’identité, l’inversion des valeurs, la confrontation au mal (Halloween, de John Carpenter, Scream de Wes Craven, Répulsion de Roman Polanski, Le Village des Damnés dont le remake a également été réalisé par John Carpenter…)


Et tous ces sujets philosophiques fondamentaux (sans aucune ironie !) ne sont pas traités de manière littéraire, psychologique, allégorique, mais de la manière au contraire à la fois la plus littérale et la plus métaphorique possible. Les films d’horreur ne dissertent pas sur ces sujets, ils les expriment à la façon d’un rêve. D’où, évidemment, leur aspect souvent répétitif, hystérique : ils sont comme les symptômes de traumatismes qui ont du mal à passer et qui se reformulent encore et encore.

orphelinat

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