Le film d'horreur (1/2)
Pourquoi le film d’horreur est une forme de cinéma pur ?
(Notes de lecture sur Le Cinéma d’horreur et ses figures, d’Eric Dufour, PUF 2006)
Le film d’horreur n’a pas
bonne presse : en gros c’est un cinéma pour ado attardés fans
d’hémoglobine, ou alors pour passer de bonnes soirées de rigolade entre amis,
se faire des frayeurs, mais précisément « sans se prendre la tête ».
Les cinéphiles accorderont peut-être à Kubrick le mérite d’avoir réalisé Shining, David Cronenberg a aussi un statut un peu
privilégié, et George Romero celui de fondateur mais les Dario Argento, Mario
Bava, Wes Craven et autres Sam Raimi sont plus souvent rangés du côté des
petits plaisirs coupables et kitsh…
Mais commençons par ce premier constat et retournons-le dans l’autre sens. N’est-ce pas un signe de « cinéma pur » que d’être du divertissement et rien d’autre ? de n’exister que dans ce qui se passe entre le film et le spectateur ? (C’était déjà l’aspect le plus important du cinéma pour Hitchcock…). Un « chef d’œuvre officiel du 7è art » touche souvent à d’autres sphères que celles du cinéma seul : la philosophie, la littérature, l’histoire, la peinture… Un film d’horreur, à un premier niveau, ne prétend pas exister ailleurs quand dans une salle de cinéma et la tête de ceux qui l’ont vu.
On a aussi pu comparer
les films d’horreurs aux films porno (ils passaient un temps dans les mêmes
salles) pour mieux les assimiler et le rejeter en bloc. Dans les deux cas,
certes, le scénario peut être plus que bâclé pour concentrer tout l’intérêt du
film sur des scènes qui exhibent ce qui est d’ordinaire caché dans le cinéma
classique, et ce de manière obscène et répétitive, avec l’attention concentrée
sur l’éjaculation (du sperme ou du sang…). Mais la différence entre les deux
est beaucoup plus fondamentale que leurs points communs : le film porno
repose sur un réalisme intégral : ce qu’on voit se passer sur scène est
vrai, non simulé, et c’est cela
seul qui est excitant (le montage ne construit rien du tout, il montre juste
des détails, des gros plans et des plans d’ensemble…). Face au film d’horreur
le plus réaliste possible, le spectateur le plus impressionnable possible saura
toujours que la personne filmée n’a pas vraiment été découpée en morceaux… Donc
le cinéma d’horreur, dans ce qu’il est de plus spécifique et de plus fort,
« c’est du cinéma » : le spectateur adhère à une réalité
virtuelle, construite par l’art des effets spéciaux et du montage, tout en
sachant que ce monde n’a jamais existé hors du film qu’il est en train de voir.
Cela pose d’ailleurs parfois problème, justement, d’où la prolifération récente des films cherchant à tout prix à rendre « crédible » l’énonciation même du film par l’emploi de caméras dans le film : les Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, le dernier Roméro, les deux Rec de Paco Plaza et Jaume Blaguero, Paranormal Activity d’Oren Peli…C’est le signe d’une nouvelle phase de l’évolution du film d’horreur (américain) : l’âge d’or de la croyance dans le pouvoir du cinéma est terminée et le genre ne peut continuer que dans une surenchère qui devient alors comique et parodique, ou au contraire dans un minimalisme qui cherche à tout prix à faire croire au spectateur que ce n’est pas du cinéma… (Mais heureusement cela ne vaut pas de manière générale, et le cinéma d’horreur japonais ou autres nous révèlent encore de très bonnes surprises, aussitôt adaptées par Holywood !)
Certains films d’horreurs
sont adaptés de romans, beaucoup d’autres pas du tout. Certains thèmes se sont
développés spécifiquement au cinéma, comme le concept des séries au personnage
récurrent (les Freddy, les Jason, etc.) ou au thème récurrent (les zombies…),
le genre du « slasher » (une bande d’amis qui se fait décimer…), etc.
Mais dans tous les cas, le principe même du film d’horreur est irréductible au
cinéma. L’adaptation d’un récit littéraire pourra utiliser les moyens propres
au cinéma (montage, cadrage, etc.) : il n’empêche qu’au final, le film et
le texte auront raconté la même histoire. La scène d’horreur, elle, ne raconte
rien, ne suggère rien, ne représente rien : elle exhibe ce qui justement
ne peut pas passer par des mots, elle montre l’Innommable. Le passage d’une
scène d’horreur littéraire à une scène d’horreur filmée peut être décevant – il
n’empêche que c’est cela justement que l’on cherche dans un film d’horreur (à
savoir la chair, le sang, les trips, l’agonie… : l’horreur). Et que le
passage du texte au film n’est pas une question d’adaptation d’une
représentation à une autre, mais bien du passage d’une représentation (par des
mots) à une monstration (par des images). L’image d’horreur n’est pas un signe.
À noter que le film
d’horreur ne fait pas forcément peur (et fait parfois rire…). Et un grand
nombre de films qui font très peur relèvent plus du fantastique que de l’horreur.
La peur est la peur de quelque chose qui va arriver, elle se projette dans le
futur (d’où le suspense, etc.). L’horreur, elle, est là contemplation de
quelque chose de présent. L’un et l’autre vont ensemble, certes (l’horreur
comme aboutissement de la peur) mais les mécanismes (cinématographiques,
psychologiques, philosophiques…) ne sont pas les mêmes.
Si le film d’horreur se
présente comme un pur divertissement, il n’en fait pas moins appel à nos
terreurs les plus profondes, nos peurs les plus enfouies. Et loin de nous
détourner de sujets plus importants, il nous met au contraire le nez en plein
dans ce que nous sommes, dans ce que nous ne voulons pas voir. On peut dégager
plusieurs grands thèmes de la masse des films d’horreur :
- la confrontation
avec l’altérité, avec tout ce qui est radicalement non-humain (des Aliens de Ridley Scott et James Cameron à The Thing, de John Carpenter etc.)
- la précarité du
corps humain face aux métamorphoses qui peuvent l’affecter (La Mouche, de David Cronenberg)
- la déréliction du
corps social (tous les films de morts-vivants depuis Romero, The Mist, de Franck Darabont…)
- la question de
l’inconscient, évidemment (surtout familial : les fautes des parents se
reportent sur les enfants, de la série des Freddy à L’Orphelinat, de Juan Antonio Bayona)
- le masque,
l’identité, l’inversion des valeurs, la confrontation au mal (Halloween, de John Carpenter, Scream de Wes Craven, Répulsion de Roman Polanski, Le Village des Damnés dont le remake a également été réalisé par John
Carpenter…)
Et tous ces sujets philosophiques fondamentaux (sans aucune ironie !) ne sont pas traités de manière littéraire, psychologique, allégorique, mais de la manière au contraire à la fois la plus littérale et la plus métaphorique possible. Les films d’horreur ne dissertent pas sur ces sujets, ils les expriment à la façon d’un rêve. D’où, évidemment, leur aspect souvent répétitif, hystérique : ils sont comme les symptômes de traumatismes qui ont du mal à passer et qui se reformulent encore et encore.