Introduction aux Gender Studies (3/3)
(image : Judith Butler)
3. Défaire le
genre
Dans une première
conception de la transsexualité, pour les médecins, ainsi que pour une
« première génération » de transsexuels, il va de soi qu’il n’y a que
deux sexes et que la transsexualité est une erreur marginale de la nature qui
peut être efficacement corrigée par la chirurgie. Notamment pour certains de
ses critiques « transgenres », le paradigme de la transsexualité
participe ainsi du renforcement de l’idéologie du genre : en dernière
instance, un homme reste défini par son pénis et une femme par son vagin.
Le
transgendérisme, ou modèle transgenre, est d’abord une critique interne au
mouvement transsexuel. Il concerne les personne qui ne sont pas satisfaites par
l’impératif d’une équivalence entre le sexe, la sexualité et la sexuation des
corps, et qui remettent en question ce dispositif normatif en en dénonçant les
effets. Il s’agit de critiquer « de l’intérieur » le modèle de la transsexualité
comme une forme de fausse conscience échouant à abolir le mal-être né des
catégories impératives du genre. (Cette critique est susceptible d’être décrite
comme naturaliste. Dénoncer la fausse conscience des transsexuels ne revient-il
pas à considérer qu’il faudrait changer le genre plutôt que le sexe, ratifiant
ainsi l’idée que le sexe est bel et bien un objet qu’on ne saurait changer, et
par là-même remettre en cause ?)
Pour le mouvement
transgenre, les trans sont des « hors-la-loi du genre » car ils
n’entrent dans aucune des catégories (de sexe) de celui-ci. En renvoyant le
sexe à sa construction sociale et biologique, le mouvement transgenre critique
le système de partition de l’humanité en sexes, non seulement pour sa binarité
oppressive, mais également dans sa prétention même à faire du sexe un indice
pertinent des divisions du monde social.
Le corps n’est
plus le site d’une correction identitaire fortement binarisée, et la métaphore
même corps/esprit s’évanouit dans le refus d’une épreuve de véridiction
permettant d’obtenir un « vrai » sexe : « Je ne me sens pas
comme un homme emprisonné dans un corps de femme, mais jute
emprisonnée. « écrit Leslie Feinberg. Comme l’écrit si bien Kate
Bornstein : « Je n’ai jamais haï mon pénis, j’ai haï le fait qu’il
faisait de moi un homme. »
Défaire la
binarité des sexes, c’est donc défaire l’idée même d’une sexualité fondée sur
le choix d’objet d’un « même » ou d’un « autre ». Défaire
le sexe dans son unicité, c’est faire la place à un « désir trans »
où la sexualité n’est pas liée à la stabilité ou à l’existence même des sexes.
Plutôt que de
simplement défendre les droits des femmes ou les droits des homosexuels à vivre
leur vie auss authentiquement que les dominants, le mouvement
« queer » a cherché à constituer les identités minoritaires en sites
de critique et de déconstruction politique des ormes majoritaires. Stratégie de
lutte et de critique qui dérange l’aspiration égalitaire à une vie aussi
paisible que celle de la majorité. Il ne s’agit pas de revendiquer une identité
sur la base d’une homosexualité positivement pensée comme un choix d’objet,
mais de revendiquer une identité d’opposition et de combat, une identité
« sans essence » qui est mobilisée par rapport à et contre la norme
dominante.
La vigilance
queer ne consiste pas à refuser de fonder des revendications collectives sur
des identités, mais à empêcher ces processus d’enfermer les minoritaires dans
des essences qui les opprimeraient au lieu de les libérer. Selon les mots de
Gayatri Spivak, repris par Judith Butler, il faut donc assumer « l’erreur
nécessaire de l’identité » tant qu’elle est stratégiquement rentable.
Au fil du temps,
cependant, la théorie et les position politiques queer ont connu une
« normalisation » : d’une part les études queer à l’université
sont devenues une simple spécialité parmi d’autres, et d’autre part, le terme
« queer », moins utilisé à partir des années 200, a fini par être
invoqué soit comme synonyme de « lesbien, gai, bi, trans », soit comme
une nouvelle catégorie réifiée, apposée aux autres.