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Xelias
8 février 2007

Trois héros très heureux (Plus laide la vie, I,3)

Je résume : ma mère veut m'avorter, mon grand-père veut me garder et trois quidams qui passaient par là, en quête d'un peu de vin chaud en ce froid matin de décembre, se voient demander leur avis. Et pas leur avis sur mon avenir, non, leur avis sur la vie. Sont-ils heureux ? Regrettent-ils d'être nés ? La vie vaut-elle la peine d'être vécue ? Vaste question, perplexité des trois clients. Raymond recommence : "-Vous en pensez quoi, vous ? - Penser quoi de quoi ?, demande l'un à tout hasard. - La vie, tout ça, vous en pensez quoi ? Vous êtes malheureux ? Vous êtes d'accord avec ma fille ? Ou c'est peut-être pas une si mauvaise chose, de boire un bon verre de vin chaud là, tous ensemble ?" Magali tombe des nues : les parents ne savent-ils donc ne rien faire d'autre que de se ridiculiser devant des inconnus ? Elle espère que ça va en rester là, que les clients vont comprendre qu'il dit n'importe quoi et que ça ne les regarde de toute façon pas mais non, l'un d'eux prend la parole. C'est un jeune homme d'une vingtaine d'année très élégant, au style recherché, presque dandy dans son grand manteau noir et drapé dans une large écharpe en soie. "- Pour votre fille, je ne sais pas, la situation est délicate. Très délicate même. Quand tu te retrouves avec un môme dans le ventre comme ça, du jour au lendemain... Pas facile. Moi, forcément, c'est pas pareil, ça risque pas de m'arriver. Hum ! Non, je pense pas. Mais sinon quoi ? Non, je ne me plains pas. Je dis pas, ça n'a pas été rose tous les jours mais... T'as beau être dans la merde, tant que t'as ça dans les tripes, tu t'en sors, non ? Alors tu fais des études de philo, t'écris des articles à droite et à gauche, t'as même une pièce de théâtre à toi qui va être jouée à Avignon. Alors t'es plutôt content et tu te rends compte que les moments difficiles, il fallait peut-être passer par là. Tremper tes tripes dans la merde histoire de voir ce qui en sort. Et s'il en sort quelques belles choses, c'est que t'as réussi. Donc non, pour moi, en ce moment je n'ai pas à me plaindre." Magali voudrait répondre - injurier ce péteux arrogant, frapper son père, s'enfuir loin d'ici - mais son père ne lui en laisse pas le temps. Il passe la parole aux deuxième garçon. Un peu plus jeune que le premier mais ils ne sont pas vraiment de la même étoffe. Plus petit, plus sec, moins élégant mais plus "fashion" comme on dit, avec ses cheveux en crête, sa doudoune blanche et son jeans moulant. Le jeu a l'air de l'amuser. "- Et pour moi ? Euh attendez que je réfléchisse. Ma life elle est un peu space mais... Je sais pas... Si, elle est belle, je crois on peut dire ça. Les études, bon, c'est pas brillant mais faut dire je m'en fous alors ça compte pas. Mais sinon... Je viens de rencontrer un... enfin une personne avec qui... Bref c'est le love, quoi, le courant passe trop trop bien. J'espère ça va durer longtemps, je crois je suis en train de tomber in love. c'est trop bon. Ouais en fait pour moi c'est plutôt cool en ce moment je suis trop content." Magali fait une tentative désespérée : "Papa, écoute-moi, c'est pas de ça dont je te parle. je te parle de moi, là, c'est de moi qu'il s'agit." Mais le père se tourne vers la troisième personne et lui demande si elle-aussi veux bien se prêter à ce petit sondage. Son avis serait le plus éclairant de tous : c'est en effet une personne âgée, une vieille bourgeoise protestante comme on en fait plus, une Strasbourgeoise habillée à la "Trautmann" : chevelure en choucroute, maquillage épais et sans grâce, tailleur en tweed vert orné d'une énorme broche dorée représentant une sorte de marguerite, sous un large manteau d'hiver. Elle est vieille, maigre et racornie. Ses bras squelettiques flottent dans les manches de son chemisier violet. Mais elle a un air sympathique, elle a suivi avec beaucoup de bienveillance les récits des deux autres clients et c'est bien volontiers qu'elle raconte à son tour son histoire : "Ah là là, mes enfants, moi je suis une vieille dame, si je vous racontais ma vie j'en aurais pour la journée. Mais bon, vous voulez savoir si moi je suis heureuse, c'est bien cela ? Par où commencer ? J'ai eu une vie bien remplie. Il arrive souvent un moment où l'on se demande ce que l'on a fait de sa vie, si l'on a bien fait de suivre cette voie et pas une autre, ce genre de choses, puis la vie vient vous apporter la réponse d'elle-même. En tout cas, moi j'ai eu mes réponses. J'ai eu une vie professionnelle assez riche, j'ai commencé comme professeur d'histoire-géographie puis j'ai travaillé dans les services culturels de la ville. Dans les deux cas j'ai reçu beaucoup de bonheur. Je me suis mariée assez tôt et, comment dire ?, ça a été un peu compliqué car mon mari est parti - la crise de la quarantaine, vous savez, c'est ce à quoi je faisais référence, ça a été un peu dur pour moi parce qu'il y avait aussi mes enfants qui avaient du mal à trouver leur voie mais ensuite, tout est allé mieux. Ma fille travaille vient d'obtenir un poste d'ingénieur à Toulouse et mon fils est dans le cinéma. Et pour couronner le tout, mon mari a fini par revenir, je lui ai pardonné et nous allons finir notre vie ensemble. C'est cela qui me faisait le plus peur, la vieillesse, mais avec lui à mes côtés, je n'ai plus peur du tout. Voilà. Les Grecs anciens disaient qu'il faut attendre la fin de sa vie pour savoir si on a été heureux ou non. Je suis une vieille dame maintenant et je peux dire que j'ai eu une vie assez heureuse." Raymond Schloesser triomphait : les trois personnes interrogées étaient toutes les trois heureuses. Pour lui, c'était la preuve que sa fille devait garder l'enfant. Magali, elle, ne savait plus comment faire pour expliquer à son père que son comportement était ridicule et puéril. Elle jeta un regard mauvais en direction des trois clients : comment avaient-ils pu entrer dans son jeu et lui donner raison ? Elle était sûre qu'ils mentaient tous, qu'ils étaient malheureux, que leur vie était laide et qu'ils en avaient tellement honte qu'ils avaient préféré mentir. Elle s'enferma dans un mutisme qui lui était habituel et alla se réfugier de l'autre côté du stand - le plus loin possible de son père. Raymond ne comprit pas pourquoi. Il haussa les épaules et la conversation continua en banalités sur le bonheur et le malheur. Les trois témoignages m'ont troublé : peut-être la vie est-elle belle, effectivement, et peut-être qu'elle vaut la peine d'être vécue, mais c'était tellement beau, tellement radieux, que J'ai trouvé ça louche. J'ai voulu voir par moi-même. Anticiper un peu ma sortie, mener ma petite enquête. Suivre ces trois personnages, connaître leur vie, leurs bonheurs, leurs malheurs - me faire ma propre idée. Voici ce que j'ai trouvé.
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Commentaires
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Très drôle la façon dont tu as fait parler le djeun'z avec sa doudoune blanche là :D. Berk tête à claques. Sinon, l'histoire s'étoffe petit à petit mais au tout début tu présentais Magali comme une espèce de beauf en puissance et là tu la présentes comme une jeune "normale" qui peut réflechir par elle-même et qui a même parfois des reflexions interessantes (ce qui est le contraire d'être beauf donc ^^). C'est le fait d'être enceinte qui l'a fait mûrir lol genre... Bon sans nul doute le gars avec "ses cheveux en crête" est homo hein et tu vas sûrement nous en parler :p Hop la suite!
Xelias
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