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Xelias
22 août 2007

Paranoïa Agent : un peu de psychanalyse

1. Convergences des données Lors du "flash-back" sur la mort du chien Maromi, un détail m'a fait extrêmement plaisir : ce qui a poussé Sagi à lâcher la laisse du chien, ce sont de vives douleurs au bas-ventre. A vrai dire, j'attendais avec impatience un détail de ce genre. Jusqu'à présent on avait parlé d'inconscient, de paranoïa, de refoulement ou encore de schizophrénie mais sans aucun contenu sexuel (à part peut-être pour le cas de Harumi/Maria). Et en tout cas, pour l'origine de Shonen Bat et pour tout ce qui concernait Sagi, on avait certes des données liée à l'enfance (son amour pour son chien, son sentiment de culpabilité, sa probable peur de grandir) mais rien de sexuel. Or, selon les thèses de Freud, tous les symptômes névrotiques sont liés à des refoulements de la libido qui cherche à s'extérioriser malgré tout sur par des comportements d'apparence non-sexuels (par déplacement, etc.). Satoshi Kon avait-il utilisé la logique du rêve et des névroses sans creuser la situation jusqu'à son origine sexuelle ? Ou se référait-il plutôt à d'autres thèses qui mettent moins l'accent sur la libido ? Je pensais notamment à Jung qui, pour le peu que j'en connais, a développé ses théories autour d'une confrontation binaire conscient / inconscient et de l'importance des archétypes et de l'inconscient collectif. La manière dont Shonen Bat se propage au sein de la population semblait suggérer la création collective et inconsciente d'une confrontation archétypale entre deux figures à la fois parallèles et opposées : Maromi (le gentil chien qui apaise et rend heureux) et Shonen Bat (l'enfant effrayant qui libère par la violence les hommes de leurs conflits intérieurs). Ce point de vue demeure d'ailleurs tout à fait valide mais Satoshi Kon a quand même tenu a donner les indices permettant une analyse plus précise autour de la personnalité de Sagi. On apprend ainsi que Sagi vivait seul avec son père. Par ailleurs l'épisode 6 proposait un montage parallèle entre Sagi (interrogée par les policiers) et la jeune fille traumatisée parce que son père avait pris des photos d'elle à son insu. Mais avant ce traumatisme la relation entre la fille et son père était explicitement "oedipienne", la jeune fille promettant à son père de l'épouser quand elle serait grande... Ces deux éléments suggèrent, à mon sens, une relation également oedipienne entre Sagi et son père (surtout en l'absence de la mère). De cette enfance heureuse avec son père (strict mais aimant) date aussi sa relation très forte avec son chien Maromi. 2. Névrose et fixation de la libido Sa douleur au bas-ventre est due selon toute vraisemblance à l'approche de ses premières règles. Autrement dit, à long terme, elle va devenir femme et elle ne pourra plus poursuivre sa relation exclusive avec son père. En plus, à cause de cette douleur, elle lâche la laisse de son chien qui meurt écrasé par une voiture. C'est dire si ce traumatisme l'a marquée au point qu'elle n'a pas supporté d'en assumer la responsabilité et qu'elle a préféré la reporter sur ce Shonen Bat créé par son imagination (et que ce soit une invention a très vite été refoulé dans son inconscient). Je ne connais pas les termes médicaux exacts mais Sagi a vécu ensuite dans une sorte de névrose où sa libido (et donc, de manière sublimée, sa créativité) s'est fixée sur ce "point de régression" qu'était son chien Maromi. A noter que l'apparence de Sagi est celle d'une jeune femme complètement effacée, presque autiste, comme si elle refusait d'assumer son statut d'adulte et surtout de femme sexuée. Sa névrose a fait remonter sa libido à un stade antérieur à la sexualité liée à des objets extérieurs. Et pour exister, Maromi a besoin de l'existence de Shonen Bat : reconnaître que c'est une invention, c'est reconnaître qu'elle a eu ses règles et donc qu'elle se doit de quitter le cocon paternel de son enfance. Mais pourquoi Shonen Bat a soudain réapparu au début de la série ? Il faut se rappeler les circonstances exactes de la première agression. Sagi n'était pas seulement acculée parce qu'elle n'avait pas rendu son travail à temps, mais surtout parce qu'elle devait créer un nouveau modèle de poupée. Traduction : elle doit passer à autre chose et se défaire de la fixation qui l'attachait à Maromi (et à sa sexualité infantile). Mais sa poupée Maromi (en tant qu'incarnation de sa libido régressive) ne l'accepte pas et suscite la réapparition de Shonen Bat qui, en la frappant, lui donne l'excuse de ne pas pouvoir terminer son dessin : la situation présente a réveillé un traumatisme ancien. C'est un procédé violent, mais finalement à l'image de la violence avec laquelle sa libido régressive tient à se maintenir en l'état (sans cela, elle n'aurait plus aucun moyen d'expression sauf à accepter le réel et à renoncer au père). 3. Une névrose généralisée Tout cela ne nous dit pas pourquoi Shonen Bat s'est propagé aussi rapidement dans la société en passant d'une personne acculée à une autre jusqu'à prendre une apparence monstrueuse et à devenir une sorte de légende urbaine. Mais là, je pense qu'il serait plus intéressant de formuler la question autrement : que veut nous dire Satoshi Kon en étendant à d'autres personnages et finalement à la société toute entière les agressions de Shonen Bat ? Ce phénomène est d'ailleurs parallèle au succès foudroyant de la poupée Maromi et de tous ses produits dérivés. Or la poupée Maromi peut se rattacher à d'autres événements bien réels comme le succès de Kitty. Kitty est un chat, Maromi est un chien : l'allusion est très claire, pour ne pas dire explicite, sans compter les innombrables autres créatures du même genre qui sont apparues depuis, depuis les Pikatchus au Totoro de Myasaki (qui a d'ailleurs consacré tout un parc d'attraction à son univers...). La portée sociale, ou plus exactement médiatique, de la série est indéniable. Mais ce parallèle entre Maromi et Shonen Bat, ainsi que l'origine psychique de leur création dans l'esprit de Sagi, permettent à Satoshi Kon de développer tout un discours, tout un point de vue, sur le sujet. Dans un premier temps, ce point de vue est assez simple : à l'image de Sagi, toutes les strates de la société japonaise sont névrosées, dans une attitude régressive, avec une libido inconsciemment fixée à un stade infantile(et, de là, toutes les activités sociales ou créatives qui en subissent l'influence d'autant plus forte que les exutoires purement sexuels sont dépréciés, voire refoulés). Bien sûr, tout n'est pas aussi simple et aussi réducteur : chaque épisode de la série présente d'ailleurs des "cas" de névrose différents et qui sont comme des incarnations des "névroses sociales" de la facette de la société explorée dans l'épisode. La violence psychologique du système scolaire japonais ne fonctionne pas de la même manière que la violence psychologique imposée aux futures épouses modèles, ni que la spirale descendante du policier pris dans sa passion du jeu et de la prostitution, etc. L'extension de la névrose de Sagi à la société toute entière ne signifie donc pas une simplification du propos, mais plutôt que cette régression-là est la plus significative de notre époque. Les derniers épisodes montrent ainsi des scènes d'hystérie collectives crées par le succès de Maromi et qui finissent par se traduire par des vols et des pillages de stocks de poupée... (La séquence en question est d'ailleurs très bien réalisée) Cette scène n'est d'ailleurs pas du tout exagérée ni caricaturale : tout ça a déjà été vu maintes et maintes fois, dans la réalité et dans les médias, que ce soit au Japon ou dans n'importe quel autre pays dit "civilisé". Conclusion Bref, ce que dit Satoshi Kon, c'est que ces comportements sont complètement pathologiques. Que ces poupées et autres mangas sont monstrueux dans la mesure où ils sont des excroissances, dans le monde réel, de nos fantasmes refoulés. Et que si ces monstres à l'apparence séduisante, autrement dit si l'incarnation du plaisir de la libido régressive peut s'incarner dans le réel par le moyen de ces poupées, il n'y a pas de raison pour que la pulsion de refoulement et de régression (qui vient empêcher de se confronter au réel) ne s'incarne pas elle-aussi. Maromi et Shonen Bat sont les deux versants d'une même pathologie. Et le succès de Maromi fait pendant à la rapidité avec laquelle Shonen Bat a échappé à Sagi pour être "utilisé" par l'inconscient d'autres personnes. Satoshi Kon a réalisé un "sur-manga", c'est-à-dire un manga qui se propose d'être autre chose qu'un manga comme les autres et d'intégrer en lui toutes les autres formes de mangas et de les faire se réfléchir en miroir. Faisant cela, il n'a pas fait qu'adopter une approche formelle pour démontrer sa virtuosité (même si cet aspect n'est pas à négliger : il y a une virtuosité dans la narration, dans la réalisation, cette série est très divertissante, parfois hilarante). Il a utilisé la forme du manga pour réfléchir sur la place des mangas (+jeux vidéos, poupées, etc.) dans la société japonaise et, surtout, pour en proposer une critique "psychanalytique" assez virulente.
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Xelias
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