Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Xelias
17 février 2008

No Country for Old Man, Joel et Ethan Coen, 2008

Grand admirateur de Fargo, The Barber, The Big Lebowski et autres Barton Fink, je ne voulais pas passer à côté du dernier film des frères Coen. Mais qu'écrire sans ne faire que répéter, en moins bien, ce qui a déjà été dit ? (notamment dans l'excellent dossier du dernier numéro de la revue Positif.) Cela faisait quelques jours que je ruminais le film, en moi et avec mes proches, et mes réflexions finissaient par tourner autour des points communs que l'on retrouve entre plusieurs films des frères Coen. Blood Simple, Arizona Junior, Fargo, The Barber, No Country for Old Men : tous ces films sont construits autour d'une grosse somme d'argent que se disputent les protagonistes du film (exception "film noir" : il s'agit de tuer le mari dans Blood Simple, exception comique : il s'agit d'un bébé dans Arizona Junior). Quelles sont ces figures récurrentes ? Il y a d'abord le personnage principal, celui qui veut le magot et qui est toujours une figure de la bêtise – depuis la bêtise sympathique de Nicolas Cage (Arizona Junior) à la bêtise veule et crasse William H. Macy (Fargo) en passant par celle, presque sublime, de Billy Bob Thornton (The Barber). Ce personnage est toujours flanqué d'une épouse (une maîtresse dans le cas de Blood Simple), dont il peut être soit amoureux soit détaché mais qui souvent fait le lien entre lui et le propriétaire du magot (dans Fargo l'épouse est la fille du patron, dans The Barber elle en est l'employée; dans Blood Simple elle est la femme de l'homme à abattre). Et donc la figure du "riche" est elle aussi récurrente, depuis Arizona Junior à No Country for Old Man, et dans les trois derniers films (Fargo, The Barber, No Country), il est filmé dans son bureau situé en hauteur devant une vitre donnant sur son domaine, et il meurt lamentablement en voulant récupérer son argent. La manière dont meurt James Gandolfini dans The Barber se rapproche d'ailleurs de la mort du milliardaire texan dans No Country… : tous deux agonisent sur le sol en perdant leur sang. Bref, dans la filmographie des frères Coen, il y a une série de films qui s'ordonne de façon très cohérente : à partir d'une trame commune, chacun explore un univers différent et développe sa propre tonalité. C'est cela qui est remarquable : il y a une "touche Coen" immédiatement reconnaissable, et pourtant aucun film ne reprend le même style visuel ni exactement le même type d'humour ou de sensibilité que les autres ! Mais tout cela ne m'aide pas pour trouver quelque chose d'original à dire sur No Country for Old Man… Et puis, un soir, juste avant de me coucher, je me suis rendu compte que quelque chose clochait dans ma classification : le personnage de Josh Brolin n'avait pas prévu de trouver la valise pleine d'argent. Il n'y a pas de "plan" alors que le "plan" est le motif narratif central de tous les autres films, celui précisément autour duquel s'ancrent l'ironie et la bêtise (les personnages principaux pensent être suffisamment intelligents pour concevoir un plan mais tout rate lamentablement). Et puisqu'il n'y a pas de plan qui foire, il n'y a pas de bêtise. Le personnage de Josh Brolin est prudent, efficace, futé : on lui fait d'ailleurs remarquer l'exploit que constitue le fait d'avoir vu le visage du tueur et d'être toujours en vie. Autrement dit, contrairement à la majorité des films des frères Coen, No Country for Old Man n'est pas un film sur la bêtise. Je pense que c'est assez important pour être souligné : il y a de l'humour dans le film mais le film en lui-même ne relève pas de la comédie. Il ne s'agit pas d'une satire de l'Amérique et de sa recherche dévoyée du "rêve américain" (Arizona Junior : avoir un bébé, Fargo : être un entrepreneur ; The Barber : réussir dans les affaires puis, à défaut, dans les arts). Il s'agit bien plutôt d'une tragédie : le magot se révèle enfin pour ce qu'il est, et était déjà dans les films précédents : la cause du malheur. Josh Brolin avait une vie certes modeste mais plutôt heureuse dans sa caravane avec sa jolie femme et ses parties de chasse dans un paysage grandiose. Mais à partir du moment où il trouve l'argent et décide de le garder (sans renoncer à ses sentiments humains puisqu'il retourne apporter de l'eau au blessé), sa vie tranquille est terminée : il est embarqué dans une course-poursuite à mort et sa femme est elle aussi menacée. La valise pleine d'argent - le magot – vaut comme une sorte de symbole ambigu, à la fois rêve américain, péché originel, boîte de pandore. Et c'est dans No Country for Old Men que ce nœud de signification apparaît de la manière peut-être la plus frontale, presque terrifiante. Ce qui nous amène à un constat assez partagé par les critiques : l'absence d'humour dans le film. Ou, plus exactement, un humour très différent de leurs films précédents, un humour noir, sombre, presque pas drôle si on peut dire. Cette forme d'ironie assez particulière dans les films des frères Coen est liée à la construction même du scénario et on ne peut la saisir qu'en réfléchissant après coup. Par exemple, pour No Country.. : l'homme à qui Josh Brolin voulait donner de l'eau est mort quand il revient sur les lieux de la tuerie, Josh Brolin était prêt à affronter Javier Bardem mais c'est par des Mexicains qu'il se fait tuer (et par la faute de sa belle-mère !), Tommy Lee Jones ne joue absolument aucun rôle dans le scénario, et enfin, évidemment, l'accident final. La fin reste un peu en suspens mais si on réfléchit, on peut se dire que Javier Bardem avait la valise pleine d'argent sur lui au moment de l'accident et qu'il la laisse dans la voiture pour essayer d'échapper à la police (mais ce n'est pas sûr). Et il y a bien sûr (mais c'est presque trop visible) le motif de la chemise que des jeunes font payer à Josh Brolin mais qu'un ado laisse gratuitement à Javier Bardem. Cette "dramatic irony" (ironie qui n'est perceptible que pour les spectateurs) renvoie à la conception d'un monde absurde, cruel, sans morale transcendante. Dans la plupart de leurs films, cette morale est cachée par l'humour des situations, des personnages et des répliques. Dans No Country for Old Men, les quelques scènes drôles (le dialogue entre Javier Bardem et le pompiste, le plan du motel demandé deux fois) sont elles-mêmes teintées de cette ironie sombre et cruelle.
Publicité
Commentaires
Xelias
Publicité
Publicité