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Xelias
29 juin 2008

La Nuit de la Vérité, Fanta Regina Nacro (2004) (1/2)

affiche_nuitDe quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’un long-métrage africain (mais avec un important financement français ) de l’un des rares réalisatrices africaines femmes(en tout cas la seule du Burkina Faso). Dans une situation pour le moins sinistrée par la pauvreté et par les guerres, Fanta Regina Nacro a une attitude plutôt offensive puisqu’elle a créé sa propre société de production afin de réaliser ce film. (http://www.fanta-nacro.com) . Car il s’agit d’un premier long-métrage après quelques courts remarqués dans des festivals et d’une tonalité plutôt pédagogico-comiques (sur le Sida, la pauvreté,etc.). D’où certaines questions qui se posent aussitôt : de quoi veut-elle parler ? pour ce long-métrage qui sera une entreprise compliquée et difficile, quelles images veut-elle porter à l’écran ? On observe en effet un changement de ton : ce film, beaucoup plus sérieux que ses courts-métrages, prend même des intonations de tragédies antiques ou shakespeariennes. C’est un film avant d’être un film africain, mais plusieurs aspects sont spécifiquement africains dans son approche : l’importance d’un certain côté pédagogique, les moyens financiers limités, le recours à des acteurs non professionnels, et bien sûr le sujet en lui-même, on ne peut plus africain…

Qu’est-ce que ça raconte ?

1.Situation de départnuit03
Après dix ans d’une atroce guerre civile, le président d’un pays africain (imaginaire) et le chef de l’ethnie rebelle ont décidé de se rencontrer pour passer une nuit de la réconciliation qui scellera la paix entre les deux ethnies rivales. Mais la situation reste tendue des deux côtés, le moindre incident est susceptible de mettre le feu aux poudres…

2. L’incident déclencheur
L’épouse du président, dont le fils a été tué lors d’un massacre commis par le rebelles, est bien décidée à ne rien oublier et à ne rien pardonner, en dépit des efforts de son époux pour l’apaiser.

3. Le climax
Dévoré par les remords, le chef des rebelles confesse à la présidente que c’est lui qui, enivré par le sang qui coulait à flot, a tué son fils (plus exactement : après l’avoir tué, il a coupé ses testicules et les lui a mises dans la bouche….). La présidente fait appel aux soldats qui lui sont restés fidèles dans la haine contre les rebelles et le met à mort (plus exactement : le fait brûler vif en broche…). La fragile paix va-t-elle s’effondrer ?

4. Il aura fallu que le président tue sa propre épouse pour que la paix reprenne les esprits et pour éviter la reprise du conflit. Mais le meurtre du chef des rebelles aura rappelé aux deux ethnies qu’on ne saurait faire la paix sans tenir compte du légitime devoir de vérité des survivants et des familles des victimes.

nuit11De quoi ça parle ?

Ca parle de l’Afrique dans ce qu’elle a de moins reluisant, de ses plaies les plus vives, de son horreur la moins représentable. On pense au Rwanda, mais peut-être plus encore aux innombrables guerres civiles d’Afrique centrale et occidentale, où revendications politiques et conflits ethniques sont intimement mêlés. Et Fanta Regina Nacro ne recule ni sur les mots, ni sur la chose, avec cependant une certaine distance par la mise en abyme. La scène où les monceaux de cadavres sont emportés par les flots est ne réminiscence, le massacre des civils est rapporté oralement par le chef des rebelles qui raconte également la manière dont il a tué le fils du président. Les horreurs de la guerre sont encore présentes à l’écran par les corps mutilés de survivants et par la scène où ils comparent ce qui leur est arrivé, dans une sorte de surenchère de souffrance. Les deux seuls actes directement montrés à l’écran sont le meurtre du chef des rebelles pieds et poings liés à une poutre au-dessus d’un feu de bois, et celui de l’épouse du président, par le président lui-même, d’un coup de fusil.

Ça parle aussi de la paix et des concessions inévitables pour y parvenir. Cette paix est considérée comme nécessaire par les deux chefs des belligérants après dix années de conflits qui ont épuisé le pays. Mais des deux côtés les oppositions sont encore vives. Du côté du président, il y a l’épouse obsédée par le souvenir de son fils mort et par le désir de vengeance, ainsi que quelques officiers qui considèrent la paix comme un signe de faiblesse. Du côté des rebelles, il y a le frère du chef qui ne fait pas confiances aux belles promesses du président, et un bouffon qui continue à répandre la rhétorique raciste des temps de guerre (les membres de l’ethnie rivale sont des cloportes des sous-hommes). Les esprits sont surchauffés, la moindre rixe peu se transformer en reprise des hostilités. La paix n’est donc nullement vue comme un processus historique naturel voulu par les populations, mais comme une entreprise audacieuse et risquée, que les chefs doivent réussir à mener jusqu’au bout, parfois contre les haines et les préjugés de leur propre clan.

Comment ça en parle ?

nuit07Bien qu’il s’agisse d’un pays imaginaire, le film part d’une matière première très forte, sans aucune complaisance dans l’évocation de la situation ni dans les différents personnages. Le « décor » est donc quasi-documentaire, mais il est englobé dans un récit qui tente de donner une forme et un sens à ce chaos. Ce n’est ni une chronique, ni une anecdote de guerre, mais plutôt une sorte de parabole qui tient à la fois du récit mythique et du théâtre tragique.

La réalisatrice fait souvent référence à Shakespeare. On le sent dans la transfiguration de l’histoire réelle en récit imaginaire, dans les haines qui sourdent dans les cœurs, le rôle donné aux épouses des chefs, dans l’importance des morts comme des personnages à part entière, etc. Mais l’unité d’action, de lieu et de temps, ainsi que le choix d’une situation de paroxysme plutôt que d’un récit mouvementé rappelle plutôt le théâtre antique. Et la manière dont la guerre est évoquée, et peut-être aussi les paysages africains, m’a aussi fait penser à une sorte d’épopée légendaire réactualisée, à la manière de l’Iliade ou du Mahabaratha (je ne connais pas d’équivalentafricain).

Toutça pour dire que ce film se veut assez ambitieux dans sa forme comme dans son propos. Fanta Regina Nacro ne cherche pas à contourner son sujet, mais les personnages sont plus des types, des éléments d’une sorte d’équation, ou d’une expérience qui tendrait à éprouver si la paix est possible en Afrique ou pas, compte tenu des haines accumulées au fil des années de guerre. La conclusion est optimiste (la paix semble en bonne voie), mais elle n’apparaît pas comme une faiblesse de scénario : le prix à payer pour la paix est tel (l’épouse qui tue le chef des rebelles et le président qui doit tirer sur sa propre épouse) qu’il s’agit d’avantage du constat effaré de ce qu’exigerait une paix durable qu’un happy end pour plaire au public. Elle recherche quelque chose comme une catharsis auprès du spectateur.

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