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Xelias
29 juin 2008

La Nuit de la Vérité, Fanta Regina Nacro (2004) (2/2)

nuit05Quelques éléments d’appréciation

Le film laisse une impression très forte : d’abord, tout simplement, parce qu’on n’a pas l’occasion de voir des films africains. (Le dernier était Bamako, très beau, mieux maîtrisé peut-être dans son image, dans son montage, mais le réalisateur a eu une formation dans une école de cinéma à Moscou, et le propos en était quasi-documentaire). Ensuite parce que la violence des guerres africaines est abordée de front, sans complaisance ni fausse excuse. Enfin, parce que le film en lui-même est bien mené, nous menant insidieusement jusqu’au bout de cette interminable nuit de la vérité en faisant monter la tension et en la faisant éclater dans une horreur qui, tout en étant logiquement amené par tout ce qui précède, n’en fait pas moins frissonner le spectateur.

nuit08La réalisation « sent » un peu le manque de moyen, mais est assez efficace, avec de nombreuses scènes caméra à l’épaule, et les images des monceaux de cadavres emportés par la pluie restent longtemps gravés dans la mémoire, sans pour autant créer un malaise voyeuriste ou autre. Les personnages féminins sont les plus forts, et les deux actrices (les deux épouses) les interprètent avec une énergie (qui fait froid dans le dos dans le cas de l’épouse du président) à côté de laquelle les acteurs sont un peu pâlots.

nuit04C’est d’ailleurs ce qui pêche un peu dans le film : la faiblesse des personnages masculins. On pense un peu à Macbeth qui a du mal à tenir la comparaison face à Lady Macbeth, mais ils manquent quand même un peu d’ambiguïté. Certes le chef des rebelles a commis un acte horrible, mais il n’est pas très convainquant quand il en parle. Quant au président… Alors qu’il aurait pu être le personnage le plus ambigu et le plus intéressant du film (que l’on pense à tous les « présidents » qui se sont succédés en Afrique, tous plus corrompus, mielleux/fielleux, les uns que les autres), il se contente d’être là et de répéter son désir de paix. La réalisatrice n’a pas pris la peine de sonder ses véritables intentions (la paix et le compromis comme le seul moyen de conserver le pouvoir alors qu’il sentait qu’il perdait du terrain ? il préfère céder sur le terrain politique pour mieux garder la mainmise sur le pays grâce à ses influences économiques ? etc.).

Il y a une autre critique, plus subtile mais aussi plus fondamentale, que l’on peut adresser à l’encontre du film, sur le décalage entre un scénario tendant vers une théâtralisation des événements, et une réalisation moins forte. Mais le mieux est de laisser l’auteur de cette critique la développer de lui-même (trouvé sur le site de la réalisatrice).

Olivier Barlet

nuit10Nous sommes donc au théâtre, mais comment revenir au cinéma? Une tension au niveau de l'espace de représentation s'instaure entre les deux visions représentées par le colonel tourmenté par ses actes et la femme du président qui ne rêve que de vengeance. Le colonel ne cesse de faire basculer le récit dans le discours. Il a le remords noble et constructif alors que Edna se révèle intrigante et sordide. C'est pourtant elle qui force l'émotion, tant sa cruauté est plausible, et tranche avec l'introspection dramatisée d'un colonel improbable. Comme toujours, la trivialité sonne plus vrai que la noblesse, si bien que dans ce dispositif, la catharsis a du mal à fonctionner – ce qui n'est pas sans problème pour le but ouvertement poursuivi par un film qui, comme la tragédie classique, cherche à purifier les sentiments.



Cela est renforcé par une série de personnages secondaires ouvrant des voies qui se perdent, notamment la belle Fatou, sans doute davantage développée dans une première version du scénario.



Puisque nous sommes au théâtre, avec ces dialogues fortement littéraires qui ont tendance à envahir l'espace du cinéma, il aurait fallu une véritable mise en scène et non une simple réalisation: que la mise en espace concourre à faire du processus théâtral un jeu cinématographique. Les banderoles reproduisant les slogans de la réconciliation ou les hochements de tête des acteurs ne peuvent générer ce pacte qui fait que le spectateur de théâtre accepte d'adhérer à ce qui lui est représenté. Le pacte, il faut le construire. Lars von Trier osait dans Dogville (qui est un film sur la vengeance) un décor sans murs sur une scène nue pour représenter tout un village. Sans forcément adopter une telle radicalité de mise en scène, une véritable géographie de l'espace scénique aurait soutenu le propos. On a certes affaire à un espace construit mais les situations profitent peu de cette carte des contradictions, de ce dédale des sentiments utilisant l'unité de lieu que suggère le récit, alors même que l'essentiel du film, hors exposition et épilogue, se résout à une grande et même scène entrecoupée de quelques visions.



nuit01La caméra, qui se rapproche si volontiers des visages lorsqu'ils expriment leurs tripes, est de même, à l'image du film tout entier, souvent en contradiction avec les efforts de distanciation, tant et si bien que le spectateur hésite entre une position de réflexion ou à se laisser aller à une émotion mimétique avec les personnages. La même ambiguïté s'installe dans le jeu souvent figé ou forcé des acteurs tandis que le scénario (dans la droite ligne de Racine mais aussi du cinéma de Marguerite Duras par exemple) développe une approche incantatoire et lyrique de la thématique pour mettre en valeur un cérémoniel plutôt que de faciliter l'identification par un mode plus narratif et représentatif.

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Xelias
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