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Xelias
7 février 2009

Kurosawa – L’énergie face au réel (1/3)

Akira_Kurosawa1

1.Introduction

Kurosawa n’est pas trop synonyme d’ennui – pour cela, je parlerai peut-être un jour d’Ozu. Avec Kurosawa, bien au contraire, on est plus du côté du trop plein, de l’action, du frénétique. Une énergie qui déborde, se cogne contre des obstacles, apprend à se réfréner, à devenir efficace. En tout cas c’est l’impression que j’ai eue et c’est ce que je vais essayer d’expliquer.

Comme toujours, les précautions habituelles : je ne suis pas universitaire, je n’ai quasiment rien lu sur Kurosawa, je ne sais pas ce qui a déjà été dit. J’ai vaguement parcouru Internet. En revanche, j’ai lu son livre « Comme une autobiographie » et j’ai récemment revu un certain nombre de ses films.

2.Corpus

Je n’ai évidemment gardé que les films qui collaient le mieux à ma thèse…

Chien_enrag_- Chien enragé (1949)
Résumé Allociné : « Dans le Japon d'après-guerre, un policier se fait subtiliser son arme. Son supérieur refuse sa démission et l'envoie à la poursuite du malfaiteur. Il mène son enquête dans les bas-fonds de Tokyo, où il côtoie la misère d'une population qui survit difficilement à la défaite de son pays.”

Dans le film, le titre porte sur le voleur, mais le policier, interprêté par le tout jeune Toshiru Mifune, est lui-aussi un chian fou : il veut retrouver son arme le plus vite possible mais va trop vite et gâche ses pistes. Un vieux policier va alors lui apprendre à canaliser son trop-plein d’énergie : cela demande de la patience, de la méthode, il faut “ronger son frein” mais c’est seulement comme ça qu’il atteindra son but. Un moment important est celui où Mifune se rend compte que son voleur est comme lui : ne sachant que faire dans le désarroi de l’après-guerre, il aurait pu aussi bien devenir voleur que policier (autrement dit : la force initiale de l’énergie n’est ni bonne ni mauvaise).

- Vivre (1952)
Résumé Allociné : « Atteint d'un cancer, Watanabe, chef de service du génie civil, décide de réaliser le projet qu'il avait tout d'abord repoussé, celui d'assainir un terrain vague du quartier de Hureocho pour que les enfants puissent jouer dans un véritable jardin.”

Face à la mort, Watanabe oublie toutes ses mauvaises habitudes, toutes les convenances, tous les obstacles sociaux qui s’opposaient à l’expression de cette énergie qui constituent son identité propre. “Chien enragé” montrait l’apprentissage d’une énergie qui doit se maîtriser pour être efficace, “Vivre” rappelle qu’il ne faut pas trop maîtriser son énergie, ni trop la plier aux convenances sociales :  sa puissance de déstabilisation peut être utile. Le risque des bons sentiments et de la moralisation facile est heureusement évité par la deuxième partie du film, après sa mort, avec les réactions des proches après la mort de Watanabe.

- Le château de l’araignée (1957)
Je vous passe le résumé d’Allociné rempli de noms japonais qui se ressemblent tous pour me contenter de dire qu’il s’agit d’une adaptation de Macbeth, de Shakespeare, dans le Japon du XVIème siècle.

Kurosawa en fait une fable bouddhiste puisque les chants qui ouvrent et concluent le film rappelle qu’il faut savoir maîtriser ses passions. A l’ouverture : "Voyez ces ruines désolées, traces du château de l'obsession... Ne semblent-elles pas habitées par ces morts qui l'ont anéanti ? Ils ont emprunté la voie du démon, la voie de la passion démoniaque... Jadis, maintenant... rien ne change..." En conclusion : “"Hommes au destin pitoyable ! La vie sur Terre n'a qu'un temps éphémère. Comme la vie des insectes, toute vie est précaire. Stupides sont les hommes qui se battent pour rien..." Le film devient une méditation sur la vanité de l’énergie mise au service de la passion, de l’ambition, de la trahison, en s’aveuglant sur le côté éphémère de toutes ces choses.

salauds- Les Salauds dorment en paix (1960)
Résumé Allociné : « L'homme d'affaires Iwabuchi est sur le point de marier sa fille à son secrétaire. Alors que la cérémonie est toute proche, il se retrouve mêlé à une sombre affaire de pots de vins au sein même de sa société. Miura, l'un des membres de la firme, est accusé par la police et se suicide. Quant à Wada, également pointé du doigt par les forces de l'ordre, il a été kidnappé par Nishi, le gendre d'Iwabuchi, qui demande la vérité sur le suicide de son père...”

Comme le résumé ne le montre pas, le personnage principal du film est Nishi, le secrétaire d’un homme d’affaire corrompu, Iwabuchi. Le père de Nishi, qui travaillait également pour Iwabuchi, avait été acculé au suicide pour étouffer une affaire de corruption et le film est donc une histoire de vengeance : le fils se fait passer pour quelqu’un d’autre et épouse la femme de son patron uniquement pour pouvoir l’approcher et resserrer peu à peu l’étau autour de lui. Encore une histoire d’énergie qui impulse un mouvement très fort mais à laquelle finissent par se poser deux questions : celle du bien et du mal (il est prêt à tuer pour assouvir sa vengeance, mais il tombe amoureux de sa femme, ce qui remet tout en question) ; et celle de la perte d’énergie (il se force à regarder régulièrement une photo de son père pour conserver sa haine vivace, mais il sent bien que la force de sa haine finit par diminuer). C’est presque géométrique finalement : c’est une question d’impulsion, de trajectoire, de parois, d’érosion…

- Sanjuro (1962)
Résumé Allociné : « Le samouraï rônin Sanjuro Tsubaki prend sous son aile une bande de jeunes guerriers inexpérimentés et les aide à déjouer un complot contre le chambellan. Jouant de ruse avec les conspirateurs, Sanjuro se révélera un tacticien hors pair, avant de se confronter avec le redoutable Muroto, bras droit du chef des comploteurs.”

C’est un film de sabre un peu amusant, bien filmé, sans plus, si ce n’est qu’il ne reformule encore une fois les données du problème. Les films de sabre sont l’idéal pour ça puisqu’il est quasiment toujours question des jeunes pleins d’énergie mais sans expérience et d’un vieux sage qui sait exactement quand il faut réflechir et quand il faut agir. Retention et expansion, action et méditation : la morale des films de Kurosawa rejoint presque naturellement la sagesse des arts martiaux (ou faudrait-il dire : la sagesse des arts martiaux a influencé la vision du monde de Kurosawa ?). à noter qu’avec l’âge, Mifune est passé du côté des « chiens enragés » à celui des vieux samouraïs ronins…

- Barberousse (1965)
Résumé Allociné : “Début 19ème siècle. Le jeune docteur Noboru Yasumoto est décidé à y faire une brillante carrière. Mais sa première affectation l'envoie dans un quartier très pauvre de Tokyo, à la clinique de l'intransigeant Dr Niide dit "Barberousse". Egoïste et arriviste, le docteur est mécontent d'être aux ordres d'un médecin dans un endroit qui ne correspond pas à son diplôme et à son ambition. Mais peu à peu, Yasumoto surmonte son amère déception et s'attache aux malades et à son étrange patron. Barberousse est un médecin atypique au coeur pur entièrement dévoué à la cause des plus pauvres…”

Pour une fois, le jeune plein d’énergie n’est pas un idéaliste, mais au contraire un arriviste et un ambitieux. Mais la figure de Barberousse n’est pas idéale non plus : il est bourru, cruel, et pour trouver l’argent pour faire marcher sa clinique il n’hésite pas à faire du chantage ou à recevoir des pots de vins. Mais c’est encore et toujours une question du rapport conflictuel entre une jeunesse pleine d’énergie et une vieillesse pleine d’expérience.

barberousse_dvd01

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