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Xelias
9 février 2009

Kurosawa – L’énergie face au réel (2/3)

3. La fiction qui embrasse le monde

Sanjuro

Ce n’est pas pour rien si les liens entre Kurosawa et Hollywood sont nombreux, entre ses films adaptés (les Sept Samouraïs sont devenus les Sept Mercenaires ; Sanjuro est devenu Pour une poignée de dollars – oui, bon, ce n’est pas Hollywood) et ses derniers films produits par Hollywood, notamment grâce à Scorcese, Coppola et même Georges Lucas qui s’était inspiré de son film « La Forteress Cachée » pour l’intrigue de Star Wars (si, si !). Cette thématique de l’énergie donne à ses films un souffle, une forme épique et des thèmes (l’apprentissage, le héros, les épreuves, la vengeance…) qui ne peuvent que plaire à Hollywood.

Il y a chez Kurosawa un amour de la fiction, un désir de se confronter à l’art de raconter des histoires qui le pousse à embrasser tous les genres (du film policier au film « Nô » en passant par les films de sabre…). C’est un homme de cinéma : il a fait ses armes à la Toho comme assistant, il a beaucoup d’expérience, il sait faire des films. Il n’a aucune méfiance ni aucune réticence à assumer la fiction et le divertissement. Concernant ce côté autobiographique, je pense qu’on peut facilement tracer un parallèle entre les jeunes « chiens enragés » de ses premiers films et son statut de jeune réalisateur plein d’énergie. Et de même pour les vieux samouraïs enfermés dans leur solitude et sa réputation de cinéaste « empereur » du cinéma japonais mais autoritaire et intransigeant.

barberousse2

Il y a bien sûr le risque du mélo, quand on voit un peu trop les ficelles psychologiques ou de scénario. Mais il s’en sort généralement par la sincérité de sa narration (on sent qu’il est « à fond » dans ses films), par son engagement social (au-delà de la rhétorique de l’énergie, ses films contemporains posent tous des questions sur l’état de la société : la pauvreté, la corruption, l’ambition…) et par la rigueur de son écriture (aussi bien des scénarios que des images : il est notamment un très grand utilisateur du cinémascope).

L’énergie du cinéma de Kurosawa est avant tout celle de Kurosawa en tant que cinéaste.

4. Les rythmes du monde

Un aspect frappant du cinéma de Kurosawa, ce sont les ruptures de rythme et de point de vue. « Vivre ! » qui commence par suivre la vie du vieil homme avant de raconter son histoire par flash-backs à l’occasion de son enterrement ; « Entre le ciel et l’enfer » qui commence comme le récit d’une prise d’otage avant d’être un quasi-documentaire sur une enquête de police pour finir par une errance dans les bas-fonds de Tokyo ; « Chien enragé » qui interrompt le fil du scénario pour une longue scène sans paroles lorsque le jeune policier erre dans les quartiers pauvres du Tokyo de 1948 ; « Les Salauds Meurent en paix » commence par une narration assez extérieure qui dure assez longtemps avant de se focaliser sur celui qui finit par devenir le personnage principal…

Pas dans tous, mais dans certains cas au moins, ces ruptures renvoient au rythme du monde auquel le jeune héros se confronte et avec lequel il doit apprendre à « faire avec » (sans idéalisme contreproductif, mais sans résignation non plus). Car la confrontation entre le jeune inexpérimenté et le vieux sage n’est qu’une étape, qu’une médiation pour arriver au vrai cœur de l’enjeu : la confrontation entre le jeune intexpérimenté et le réel. Le vieux sage vient apprendre le principe de réalité au jeune chien fou.

Ainsi formulé, on est en plein dans le poncif, dans un cliché éculé (et on n’est parfois pas loin du cliché), mais ce qu’il faut retenir c’est que cette idée s’incarne dans la forme même du film, justement : dans la structure de ses images et dans ses ruptures de rythmes. Ce sont ces scènes d’errance dans les rues de Tokyo ou ailleurs, ou les enquêtes méthodiques, tous ces moments où le fil scénaristique est comme en suspend pour une véritable contemplation. Et là ça devient plus intéressant : le réel devient alors une véritable matière filmique, et on peut aboutir à une réflexion quasi-mystique sur la relation entre l’individu et le monde (qu’on trouve de la manière la plus explicite dans « Dersou Ouzala »).

Ces rythmes sont aussi ceux de nombreux aspects de la pensée japonaise, qu’il s’agisse de la pensée religieuse japonaise (bouddhisme, enseignements des maîtres des arts martiaux-, de son esthétique (« le Château de l’Araignée » !) ou encore de l’importance des rites dans la société japonaise (le respect de la hiérarchie…). Beaucoup de ces films se construisent sur cette tension entre ces rythmes extérieurs qui s’imposent au héros et son bouillonnement intérieur.

Araign_e1

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Xelias
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