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Xelias
4 avril 2010

Testo Junkie, Beatriz Preciado, 2008 1/2

implants
1. Résumé

Comme prévu, je reviens rapidement sur ma lecture de Testo Junkie, de Beatriz Preciado. Beatriz Preciado est une philosophe (+ écrivain, essayiste, etc.) très impliquée dans la réflexion féministe radicale, auteure notamment du Manifeste contra-sexuel (Balland, Paris, 2000), aujourd’hui devenu un classique de la théorie Queer. Testo Junkie, lui, est paru en 2008 aux éditions Grasset. Ce livre se présente sous la forme d’un journal que Preciado a tenu pendant presque un an, mêlant récit personnel et réflexions historico-philosophiques sur l’époque contemporaine.

Pendant presque un an, Béatriz Preciado a pris de la testostérone en gel. Non pas pour devenir un homme, mais pour briser les frontières, flouter les genres, pour rejeter ce que la société a décidé qu’elle serait (une femme), et pour expérimenter en elle-même, dans son corps, dans ses désirs, dans sa sexualité, ce que c’est que de «devenir homme». Testo Junkie est le récit de ce «protocole».

Quant aux réflexions philosophiques, elles s’inscrivent dans la voie ouverte par Michel Foucault, et poursuivie par des penseuses féministes comme Judith Butler (mais elle n’est pas la seule !). C’est-à-dire que le point de départ est qu’il n’y a pas de nature humaine : que les hommes et les femmes ne deviennent ce qu’ils sont qu’à partir de leur naissance, à travers le jeu des normes, des contraintes et des relations de pouvoir qui leurs sont inculqués tout au cours de leur vie. Avec sa réflexion sur le système pénitentiaire et sur la sexualité, Foucault a révélé combien la notion de «sujet» (donc d’identité, de personnalité, de conscience de soi) renvoyait tout autant, sinon plus, à un «assujettissement» (aux normes, au pouvoir) qu’à une «subjectivité» prétendue personnelle et libre.

Judith Butler, elle, a entre autres mis en avant le concept de performativité : être un homme ou être une femme, ce n’est pas autre chose que répéter jour après jour les gestes par lesquels on se définit comme homme ou femme (se maquiller, être sensible, regarder un match de foot avec ses potes et de la bière, être galant, etc.). Les normes des genres n’existent donc pas ailleurs que dans cette répétition : ce qui explique qu’il peut y avoir des «loupés» dans l’apprentissage ou dans la répétitions, des personnes qui répètent mal certains gestes, qui ne re reconnaissent pas dans tel ou tel geste.

En se lançant dans le vide, c’est-à-dire en commençant en prendre de la testostérone en dehors de tout protocole médical, sans volonté de ressembler à ce qu’on entend par «homme» ni à ce qu’on entend par «femme», Beatriz Preciado remet en cause radicalement l’apparence naturelle et universelle de nos normes, de nos genres, de nos subjectivités. Et elle en profite pour réfléchir sur ce qui définit le coeur-même de notre époque.

Pour résumer, elle reprend l’analyse de Michel Foucault en y rajoutant une étape. Michel Foucault considérait que l’Occident était entré, à partir de la 2è moitié du 18è siècle, dans une époque disciplinaire. C’est à partir de cette période que se sont développés tout un système d’embrigadement de la population (à commencer par la notion même de «population» conçu comme des statistiques qu’il faut gérer au mieux), accompagné des théories de gestion de l’Etat qui justifient ce système. Les trois lieux emblématiques nés avec cette nouvelle ère sont l’internat (le système éducatif), la caserne (l’armée) et la prison (le système pénitentiaire). Trois lieux régis par un règlement, un emploi du temps minutieux et une surveillance de tous les instants, autour de la notion centrale de discipline. Il faut élever et discipliner les corps et les âmes.

Beatriz Preciado, elle, considère que Foucault est passé à côté du développement d’une nouvelle ère à partir des années 50 : celle de la société «pharmaco-pornographique». Les deux grandes créations du capitalisme au XXè siècle sont l’industrie pharmaceutique et l’industrie du spectacle. Avec, comme produits-clés dans chacun des cas, le Viagra et le porno. Le Viagra, car il vient suppléer une virilité soi-disant déficiente, au nom d’une certaine idée de la masculinité - et les chiffres comparant les investissements dans la production du Viagra avec les investissements dans la lutte contre le SIDA par exemple sont assez éloquents pour montrer à quel point le Viagra est devenu bien autre chose qu’un gadget. Et le porno car il a pris une telle place dans nos imaginations au cours de ces dernières années qu’il est devenu un modèle incontournable des désirs et des rapports sexuels.

C’est donc désormais de l’intérieur que sont forgés nos genres, nos désirs, nos identités : par la régulation de nos hormones (pilule, Viagra, anti-dépresseurs), par la reconfiguration de nos corps (chirurgie esthétique, UV, Instituts de Beauté), par la pénétration jusqu’au coeur de la naissance de nos désirs (cinéma, téléfilms, industrie du porno et Internet...). Peu importe ensuite que l’on soit disciplinés ou révoltés, puisque l’étendue de nos désirs et de nos sexualités sont, eux, contrôlés dès leur naissance.

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