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Xelias
1 juin 2008

Virgin Suicides (et autres DVD)

normal_Virgin_Suicide_21The Virgin Suicides, Sofia Coppola (2000)

Un film sans histoire, sans psychologie, sans personnage principal, et qui porte justement sur la vaine tentative de cerner une histoire, une psychologie et des personnages à partir des maigres indices laissés par ces cinq soeurs. C'est presque une réflexion sur le cinéma, sur l'énigme cachée au coeur du cinéma : la fiction qui naît des images mais dont le sujet véritable est toujours absent. Il se défile, il flotte quelque part dans le hors-champ, dans l'ellipse, entre deux images, un peu comme ces traces sur la cornée qui se déplacent quand on cherche à les voir... C'est pourtant ce secret, cette quête qui pousse les enfants à enquêter sur les cinq filles, et qui motive les images du film. Tout l'art de Sofia Coppola est d'avoir su cerner ce vide, d'avoir su en faire le sujet même de ses images et d'avoir ainsi abouti à une longue méditation poétique sur l'inconnu, sur l'innommable, sur l'infilmable - sans tomber dans les dramaturgies des films classiques.

Par ailleurs le film (comme le livre je suppose) a un ancrage historique très précis. Les années 70 ne sont pas là seulement pour le décorum, la musique vintage, etc. J'imagine que ça correspond aussi aux premières générations de l'adolescence triomphante. Ce n'est que depuis les années 50 que l'adolescence est devenue un âge à part, avec ses valeurs, sa musique, ses amours, ses conflits avec les parents, etc. Et c'est peut-être dans les années 70 que cette liberté nouvelle a fini par créer un grand vide et les parents puritains ne pouvaient plus lutter contre une culture devenue autonome. Derrière les façades blanches et les gazons bien arrosés, symboles de l'American Way of Life, le malaise est réel, bien qu'impalpable, et le suicide commence à devenir l'une des principale causes de mortalité des jeunes.

Avril (1961), La Chute des Feuilles (1966), Otar Iosseliani18659888

Je connaissais ce cinéaste géorgien de nom, j'avais eu l'occasion de voir et d'apprécier "Adieu Plancher des Vaches" (1999) au cinéma puis en DVD et je me suis laissé tenté par un DVD présentant les toutes premières oeuvres du cinéaste alors qu'il était encore étudiant à l'école de cinéma de Moscou (ce qui n'a pas empêché ces films d'être interdits car trop subversifs...).

flFl_Illustration_388Avril est une fable onirique et muette sur un jeune couple emménageant dans un immeuble moderne et se laissant submerger par la fièvre de la consommation (en l'occurrence : entasser des meubles) jusqu'à risquer d'y perdre leur amour et leur bonheur. C'est assez amusant, on y trouve quelques traces de montage rhétorique à la Russe mais avec une distance comique et un jeu sur les bruitages qui rappellent un peu Tati. Cela dit, j'ai aussi pensé à Zéro de Conduite, de Jean Vigo, pour le mélange et prosaïsme et de poésie, surtout pour les ralentis qui concluent le film.

flFl_Illustration_390La Chute des Feuilles est son premier long métrage, il y a cette fois des personnages en chair et en os avec une histoire, une évolution psychologique réaliste, etc. Il s'agit d'un récit d'éducation (à la vie, aux relations de travail, à l'amour) d'un jeune homme trop gentil qui essuiera beaucoup de déconvenues avant de reprendre sa vie en main. C'est aussi une dénonciation de l'économie planifiée appliquée à la production de vin (une coopérative veut mettre en bouteille un vin de très mauvaise qualité pour respecter les objectifs voulus par le Plan mais le héros idéaliste refuse d'apposer sa signature...). On n'est plus dans un film d'étudiant et dans un film plus romanesque, plus subtil, mais toujours avec cette distance, cette nonchalance poétique que j'avais déjà aimées dans "Adieu Plancher des Vaches". Bref, tout cela me donne envie d'en voir plus - je pense que c'est un grand cinéaste dans la tradition d'un Jean Vigo et d'un Jacques Tati, avec une tendre ironie sur les rapports sociaux que ne renierait pas un Jean Renoir (mais ce ne sont que des références françaises...).

18426502Three Times, Hou-Hsiao-Hsien (2005)

Aussi étonnant que cela puisse paraître (à mes propres yeux en tout cas), je n'ai vu que trois films de Hou-Hsiao-Hsien : Les Fleurs de Shanghai (1998), Millenium Mambo (2001) et Café Lumière (2004). Il y a quelques années de cela, j'avais déjà brillamment analysé les premières images de Good Men Good Women (1996), ce qui ne m'avait pas empêché de me planter tout aussi brillamment aux épreuves suivantes. Il est vraisemblablement l'un des cinéastes asiatiques les plus importants : moins tape-à-l'oeil que Wong-Kar-Waï, plus intellectuel mais aussi motivé par un regard profondément ancré dans l'histoire et la politique (sur le passé de Taiwan comme sur l'hyper-modernité de la jeunesse actuelle), tandis que j'ai l'impression que Wong-Kar-Waï en reste plus à l'aspect "vintage" et nostalgique du passé et pour des histoires avant tout sentimentales.

Ce Three Times fait se succéder trois histoires d'amour à trois époques différentes de Taiwan (1911, 1966, 2005) et interprétés par les mêmes très beaux acteurs (Chang Chen : le copain de Tony Leung dans Happy Together, et la sublime Shu Qi). C'est dire si, au final, les histoires d'amour sont avant tout des prétextes pour capter l'air du temps propre à chaque époque, aussi bien dans la conception des relations amoureuses (hyper codifiées en 1911, sentimentales et idéalisées en 1966, libérées des tabous mais pleines de confusion en 2005)) que dans le rapport à l'histoire, à l'espace et aux technologies (la libération de Taiwan du joug japonais en 1911, la culture américaine en 1966, la bisexualité et les sms de 2005). Le tout avec une lenteur luxueuse et soyeuse des images, une précision des décors et des éclairages, un jeu tout en retenue et en subtilité des deux acteurs, qui font que c'est presque un crime de le voir en DVD tant il mérite un écran et une concentration qu'on ne peut avoir qu'au cinéma (ou avec un home cinema, ce qui est loin d'être mon cas).

Une mention particulière pour la séquence de 1910 ! Cette séquence est muette mais filmée exactement comme les autres parties, avec des longs plans séquences (et sans découpage précis et narratif comme on le fait généralement dans les films muets). Les personnages parlent même plus que dans les autres parties, mais seuls quelques cartons résument les faits et les conversations : tout l'intérêt réside dans la beauté des images, la subtilité des émotions qui transparaissent à travers les gestes codifiés, etc.

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