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Xelias
25 août 2008

Une soirée presque ordinaire (2/3 : la révélation)

La petite fête poursuit son cours. La nuit froide prend peu à peu possession de la grange, le taux d’alcool monte dans les veines et je me laisse porter par une douce torpeur. Puis des mouvements inhabituels annoncent une arrivée. Du côté de l’entrée je distingue Cyril et deux silhouettes : deux femmes ? deux garçons ? Mes sens s’éveillent, Cyril m’avait promis qu’il y aurait bientôt des garçons un peu plus mignons que ceux déjà présents. Ils s’avancent : il y a un petit bout de femme lesbienne jusqu'au bout de sa crête jaune et à ses côtés un jeune homme à l’allure singulière. C’est Clément. Je ne lui donne pas vingt ans. Jeune, beau, le regard ténébreux sous ses cheveux bruns. Avec ses bretelles et sa chemise rouge ouverte sur un tee shirt blanc, il s’est donné un look un peu trop recherché mais pas désagréable : quelque chose en lui séduit et me trouble... Il s’assied sur le canapé défoncé du fond, à côté de sa copine lesbienne à crête jaune. Je suis debout, je pourrais rentrer ou m’asseoir ailleurs mais je choisis le fauteuil à côté du canapé et pour me donner une contenance, je leur offre une bière. La fille accepte mais pas Clément. Un ange passe, jaloux peut-être du charme de Clément. Je sirote ma bière gorgée par gorgée, je ne sais pas quoi dire, quelque chose en lui m’intimide. De son poignet, un tatouage se perd sous la manche de sa chemise et semble remonter jusqu’à l’épaule. Plutôt ambitieux comme tatouage : ilne doit pas arborer tout le temps ce look de jeune minet. Joyeuse surprise : il me parle et un début de conversation semble s’engager. Tu viens d’ou ? Tu fais quoi dans la vie ? Et toi ? etc. Comme souvent dans ces circonstances, on répond peu, on fait le blasé, on ne veut donner l’impression de trop s’intéresser ni à ce qu’on fait ni à ce que fait l’autre. Il a 22 ans, il est au chômage, il reste assez vague sur son avenir. Il y a sûrement une situation un peu difficile là-dessous, je ne veux pas être indiscret, je ne sais pas quoi dire, la discussion retombe. Le silence reprend ses droits, aussitôt comblé par la musique et les éclats de voix des autres invités. Lui-même finit par discuter avec sa voisine (à proprement parler sa sœur, ainsi que je l’apprendrai plus tard). Ils sont restés un certain moment à l’écart sur leur canapé à rire entre eux sans se mêler à la foule bigarrée des gays et des hétéros. Moi, je ne sais plus comment, j’ai fini pas m’asseoir sur le fauteuil de l’autre côté du canapé. Je leur tends de temps en temps des biscuits et autres amuse-bouche mais ils n’ont visiblement pas l’envie de sortir de leur cocon. Seuls leurs amis intimes se permettent de s’approcher, de leur parler, de plaisanter : Cyril, mais aussi Déborah, la lesbienne que j’appelle Shane en référence à L Word et qui les invite à passer la voir à Strasbourg maintenant qu’ils sont de retour de vacances. (Pour moi, le reste de la soirée sera consacré à me rapprocher de Shane jusqu’à réussir à échanger nos numéros et à nous promettre de nous revoir à Strasbourg : je me débrouille mieux avec une lesbienne qu’avec un joli garçon ! J’ai depuis revu Deborah, mais pas Clément). Plus tard, je leur adresserai encore un peu la parole à propos de sandwichs à préparer et de bouteille de vin à ouvrir (mais Clément ne boit toujours pas d’alcool) puis je rejoinds un autre groupe d’invité et ce sera tout. De leur côté ils finissent par discuter et même rire avec quelques autres personnes. À peine plus tard, ils filent en quittant la soirée aussi discrètement qu’ils sont arrivés. C’est maintenant seulement que l’histoire commence. (c’est bien connu, les véritables histoires ne commencent qu’une fois tout accompli, lorsqu’il est trop tard et qu’il ne reste plus que l’errance, la mémoire et la nostalgie : les récits d’après l’exil, d’après la perte, d’après l’amour. Et ici, encore plus ténu, le récit d’après la non-rencontre.) Le récit nous parvint de la bouche de Cyril, une confidence qu’on aurait pu croire simple commérage si elle n’était une révélation. Car Clément, il y a deux ans, s’appelait Clémence. Cyril ne connait que quelques fragments et c’est à nous d’imaginer le puzzle entier. Avec je ne sais quel argent, tout seul, Clémence partit se faire opérer aux Etats-Unis. : ablation des seins, hormones et je ne sais quoi d’autre encore… Il y eut ce rapide coup de fil passé à une proche amie : « Devine d’où je t’appelle… » À son retour, Clémence était devenue Clément. Cette ébauche de scénario à peine relaté, les questions fusent. Cyril nous raconte encore ce qu’il sait ou pense savoir de la difficile et complexe trajectoire sexuelle et sentimentale de Clément : « fille j’aimais les fille, et garçon j’aime les garçons ; ce ne serait pas tant un genre qui m’attire que le rapport homosexuel ? » De mon côté la fascination pour Clément s’aiguise, mon trouble aussi. Des images fusent, celle de ce corps beau sans sein et sans sexe, les cicatrices rouges qui doivent rayer sa poitrine imberbe, de ce que ça doit faire de lui faire l’amour. J’ai honte de ces images, j’ai honte de ce trouble car ils ramènent Clément à son corps hybride, à son corps de monstre fantasmé, à son corps objet de haine, d’amour et de lutte, car ils font de Clément un transsexuel au lieu de le considérer comme un garçon. Mais lui-même, comment se considère-t-il ? Plus tard, l’air de rien, je demande à Cyril son appareil photo et je les visionne apparemment au hasard, mais précisément pour revoir Clément. Et là, surprise ! Sur les images de mauvaises qualités, surexposées ou floues, le passé féminin de Clément ressurgit. Clémence réapparaît derrière Clément : l’objectif de l’appareil retrouve dans les formes figées du visage tout ce que Clément, par son regard, ses vêtements et son attitude nous faisait oublier. Quelque chose était capté qui n’aurait pas dû l’être et la photo venait révéler une vérité cachée. Pour un peu, je me serais cru dans le scénario d’un film un peu intellectuel, où le personnage principal serait trahi par une image prise à son insu. Cruelle épreuve (photographique) pour quelqu’un qui, par ailleurs, a passé ces dernières années à se créer, plus que tout autre, une identité qui ne doit rien à personne, et surtout pas à la nature.
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Xelias
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